ENTRETIENS
Zarmatelier
un atelier qui a de la bouteille !
Pour cette nouvelle interview, je suis allé rendre visite au Zarmatelier qui fête ses 20 ans cette année et où j'ai été chaleureusement accueilli par deux de ses fondateurs, Richard Di Martino et Bruno Bessadi, dans leur local rue Ferrari, à deux pas de La Plaine. A côté de l'entrée, un stagiaire de 3è travaille à ses personnages de BD, sous les conseils bienveillants de Bruno et Richard soucieux de transmettre leur savoir-faire et leur passion. Après une petite présentation des lieux, nous montons à l'étage, une mezzanine un peu basse. Ca tombe bien, nous sommes confortablement assis. L'entrevue peut commencer...

Portrait de Bruno Bessadi et Richard Di Martino
Genèse

Tout d'abord « Joyeux anniversaire ! » puisque cette année c'est le vingtième anniversaire du Zarmatelier.

Richard Di Martino - Eh oui, nous avons fondé le Zarmatelier en 2001 ! C'était une idée que nous avions tous les deux, Bruno et moi, depuis déjà quelques années.
Bruno Bessadi - Nous nous sommes rencontrés en 1995...
R- Et nous avons fantasmé tous les deux sur l'idée d'avoir un atelier.
B- Nous venions de sortir de l'école. Et nous voulions faire de la BD. Nous sommes allés à Angoulême tous les deux pour la première fois en 1995 pour essayer de démarcher les éditeurs. En 1997 nous sommes allés à Bruxelles pour des vacances, et au retour, nous nous sommes arrêtés à Reims où nous avons visité l'atelier 510 TTC, avec notamment le scénariste Jean-David Morvan.
B- C'est là que nous nous sommes dits que nous aimerions vraiment avoir un atelier comme ça, nous aussi.
R- Ca nous trottait dans la tête. Nous nous disions « Quand nous arriverons à signer un contrat, nous nous prendrons un atelier », plutôt que de bosser tout seul chez soi, solitaire dans son coin, comme font beaucoup de dessinateurs !

J'ai lu que vous participiez à des « cours » que donnait Jean-Louis Mourier, le dessinateur de Trolls de Troy, à La Passerelle.

R- Il y avait l'association Marseille BD qui donnait des cours de BD le soir, les mercredis je crois. C'était dans un petit local en face de La Passerelle, qui était un lieu culte dans les années 90 et l'un des premiers « concept store » ! C'était innovant pour l'époque. Surtout à Marseille !
Il y avait une grande librairie de BD au rez-de-chaussée, derrière le restaurant, et à l'étage Gégé le chinois qui faisait de la BD d'occasion et qui après s'est installé un peu plus bas, en face du lycée Thiers, en créant BDstore, librairie qui maintenant est fermée puisqu'il est décédé il y a deux ans.
B- Il faut savoir qu'à l'époque Marseille c'était le tiers-monde de la culture. Pendant des années et des années, il n'y avait qu'une seule librairie spécialisée BD à Marseille, c'était La Passerelle, et c'est tout !
Jean-Félix et Gégé étaient tous deux des personnes que nous connaissions et apprécions beaucoup, et qui ont œuvré à leur niveau au rayonnement de la BD à Marseille et à celui de la BD marseillaise au niveau national. Jean-Félix nous a permis de faire avec Richard notre première exposition à La Passerelle, alors que nous n'étions encore que des amateurs.
Et Gégé c'était la légende du manga et du comics en V.O. et de la BD d'occase. Tous les fans de BD avec un grand « B » de Marseille le connaissaient et l'appréciaient beaucoup pour sa gentillesse et sa générosité. Moi le premier. Son décès a été un choc et il nous manque toujours.

Vous savez pourquoi La Passerelle en tant que librairie BD s'est arrêtée ?

B- Le propriétaire de la librairie, Jean-Félix, est décédé. C'était un ancien commercial de chez Dargaud. C'était un vrai fan de BD ! Il était associé avec le restaurateur et quand il est décédé, c'est le restaurateur qui a récupéré l'espace. Un restaurateur c'est gentil mais ce n'est pas un libraire donc du coup ça a périclité. Gégé il a senti le vent tourner et il est parti aussi.
R- La Passerelle était un vrai lieu de vie. Il y avait tout le temps des expos de BD dans la salle du resto. Il y avait des rendez-vous mensuels où venaient des auteurs comme Arleston, Tarquin,...
B- Une fois par mois, il y avait le repas des auteurs de BD.
R- Nous, nous étions tous jeunes, nous débutions, nous n'étions pas encore pro. Mais nous étions déjà intégrés au milieu de la BD, notamment parce que nous faisions des cours avec Jean-Louis Mourier.

Jean-Louis Mourier

C'étaient vraiment des cours de BD ?

R- Non c'étaient plutôt des ateliers, le soir. Nous arrivions avec nos BD. « Voilà j'en suis là » Et lui : « Fais pas comme ci... fais pas comme ça... » Ce genre de conseils. C'était à la bonne franquette !
B- C'était la fin des années 90, en 1997-98. Il y avait aussi Herlé, Biancarelli qui démarrait, Vincent Trannoy avec qui j'ai dessiné les deux premiers tomes de Zorn et Dirna. Et il y avait des guests qui passaient de temps en temps, comme ça. Pour la petite histoire, c'est d'ailleurs nous avec Richard qui avons repris les cours de cette association. On bouclait la boucle !

"Quand nous arriverons à signer un contrat, nous nous prendrons un atelier !"
L'atelier

Vous avez eu cette envie d'atelier en revenant de Reims en 1997. Vous vous êtes tout de suite installés ici, dans ce local rue Ferrari ?

R- En 2001, nous avons trouvé ce local. Nous étions toute une équipe. Avec Bruno, nous venions de travailler pendant 3 ans dans un studio d'animation qui s'appelait Aladin Picture, un studio marseillais qui sous-traitait du story-board, et dans lequel nous étions rentrés parce qu'ils cherchaient des gens qui dessinaient avec une patte BD. Nous avons été formés sur place au story-board.
Pendant ces trois années où nous avons travaillé au studio, nous avons rencontré plein de gens et, quand le studio a coulé, tout ce petit monde s'est retrouvé un peu à la rue. Nous avons parlé de cette idée d'atelier aux autres. ça a créé une véritable énergie parce qu'il y en a plein qui sont venus : Thomas Allart, Olivier Thomas, Eric Stoffel,... Nous étions 5 ou 6. Et nous avons tous signé notre premier contrat BD dans l'année. Nous avec Bruno nous étions en train de signer nos premiers contrats de BD, Bruno chez Soleil et moi chez Vents d'Ouest.
B- En 2000, c'était l'âge d'or de la signature !

Vous avez trouvé ce local facilement ?

B- Le scénariste Eric Stoffel habitait juste à côté. C'est son propriétaire qui lui a proposé ce local qui est resté dans son jus (rires)
R- Avant nous, il y a eu une voyante...
B- Une graphologue ! Et juste avant nous c'était le siège d'une association gay et lesbienne. Du coup les premières semaines nous avions toujours des gens qui venaient taper à la porte, des habitués, qui étaient déçus du coup.
R- Ce n'était pas cher. C'était pas mal et ça correspondait assez à ce que nous cherchions.
B- C'est toujours pas mal. Et c'est toujours pas trop cher !

Pourquoi ce nom de Zarmatelier ?

B- « Zarma » c'est un mot arabe qui veut dire « soi-disant » ou « celui qui se la raconte ».
R- En 1995, nous étions aussi dans un fanzine Kérozène qui avait comme sous-titre « le zarmagazine », donc le « soi-disant » magazine. Et après nous avons monté le « soi-disant » atelier.
B- Nous avions créé l'association Zarmatelier en 2000 mais nous n'avions pas de local. Nous étions chez les parents de Richard, dans la véranda. C'était parfait pour nous de s'appeler Zarmatelier parce que nous voulions un petit jeu de mot. Et en 2001 nous avons eu le local. Du coup, comme Richard et moi, nous avions déjà créé l'association, nous l'avons basculé sur cette adresse.

Le Zarmatelier

Et ce collectif Kérozène, c'était déjà un peu la même bande ?

R- Pas tout à fait. Là c'était Yann Madé, qui est aussi avec nous dans l'atelier depuis quelques années.

Il y a également Domas et Zoé Redondo, une jeune autrice qui n'a pas encore publié.

R- En fait Zoé était une de nos étudiantes. Parce que depuis 5-6 ans maintenant, tous les deux avec Bruno, nous sommes enseignants à l'école de Condé-Marseille, anciennement Axe Sud, qui a ouvert en 2014 une section BD.
B- Il y en avait certains d'entre nous qui étions déjà profs dans cette école, quand il n'y avait pas encore cette section BD.
R- C'est une école supérieure d'arts graphiques. Avant ils faisaient plutôt du design graphique.
B- Ils avaient tout de même quelques matières qui se rapprochaient de la BD. Moi j'apprenais la technique BD, un autre dessinateur apprenait le story-board,... quelques matières comme ça.
R- Maintenant il y a une vraie section BD et nous enseignons là-bas. Du coup, Zoé est une de nos premières étudiantes. Elle nous a rejoint et ça a amené un peu de jeunesse dans notre équipe.
B- Et de féminité aussi !
R- C'est vrai. Nous n'avons eu qu'une autre femme à l'atelier, Mathilde Domecq, qui est restée 2 ou 3 ans.

En parlant de la vie de l'atelier, j'ai vu qu'il y avait plusieurs collaborations entre les membres de l'atelier, par exemple Domas a fait les corrections orthographiques d'Eddy l'angoisse de Richard, et souvent dans vos livres respectifs vous remerciez les gens de l'atelier.

R- Nous nous montrons nos travaux en cours. C'est l'avantage de l'atelier. Si on a un doute sur un dessin : « Bruno, tu crois qu'il est bien mon bras ? » Ou je passe derrière l'épaule de Bruno : « Tu as cadré cette case comme ça ? Moi j'aurais plutôt cadré un peu plus loin » C'est le principe de l'atelier.

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Pouss' de Bamboo
et autres collaborations

J'imagine mais est-ce qu'il y a des projets plus aboutis entre membres de l'atelier, au-delà de ces conseils ?

R- Parfois oui ! Avec Domas, nous avons eu une collection jeunesse « Pouss' de Bamboo ». Nous venions d'avoir nos filles à peu près à la même période. Du coup, ça me trottait dans la tête de faire de la BD pour enfants. Vers 2010-2011, j'ai eu cette idée de BD pour les tous petits. J'en ai parlé avec Domas.
Nous avions déjà travaillé dans la com' ensemble, à quatre mains. Parce que souvent quand il y a des travaux de com' qui arrivent par le biais de l'atelier ou individuellement, les délais sont très courts, et avec des budgets plus gros que dans la BD. Alors, plutôt que de les perdre par manque de temps, avec Domas, cela nous était déjà arrivé de travailler à quatre mains.
Donc, pour cette collection jeunesse, je lui ai demandé son avis. Il a apporté des idées. Nous avons mûri le projet ensemble. Et nous avons présenté le concept à Bamboo, qui l'a accepté. Du coup nous étions directeurs de collection tous les deux, une direction de collection à deux têtes. Évidemment nous avons réalisé avec Domas les premiers titres.
B- Et après il y a eu des titres des autres membres de l'atelier. Il y a eu Mathilde [Domecq] et moi aussi, en plus de Richard et Domas, parce que ça faisait partie aussi du dossier qu'ils avaient présenté.
R- Oui c'est vrai qu'en présentant le dossier, nous avons aussi promu les copains de l'atelier. Nous avons fait bosser plein de copains comme ça. C'est du copinage mais c'est aussi parce que c'est notre réseau.

La collection présentait des contes classiques en BD muette.

R- Oui, c'étaient des petits contes classiques adaptés en BD sans texte. Au départ, la première mouture c'était un petit format et après ils ont été réédités en plus grand. [La collection en grand format a été rebaptisée « Ma première BD »]
B- Notamment parce que les libraires se sont plaints de ce petit format, ils ne savaient pas où les mettre. Le nouveau format est plus classique pour de la BD. Alors que cette première édition elle était géniale. La couverture était molletonnée. Elle était parfaite ! Même si c'est très inspiré de Petit Poilu [autre BD muette pour très jeunes lecteurs aux éditions Dupuis] au niveau du concept.
R- Il y avait aussi cette idée de l'éditeur de rajouter un petit carnet-atelier pour apprendre à dessiner les personnages du conte. Et à la fin, le texte du conte, pour les parents qui voudraient lire le conte aux enfants. C'était un concept sympa. Il y a eu presqu'une trentaine de titres en tout, dont quelques titres qui ont bien marché commercialement.

La collection Pouss' de Bamboo
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R- Quand nous avons eu fait le tour des contes les plus connus, l'éditeur nous a demandé d'essayer des choses différentes, comme les contes régionaux ; moi par exemple j'ai réalisé La chèvre de M. Seguin. Nous avons aussi essayé de faire des Fables de La Fontaine.
Après, il y a même eu des créations originales. Moi j'ai fait Koko & Ti'mû [un album de gags muets et écologiques mettant en scène une petite fille polynésienne et son ami, statue de pierre, qui cherchent à sauver leur écosystème], Domas a dessiné aussi Jan des cavernes [sur un petit homme préhistorique]. C'était toujours sur le principe du conte avec des petits récits écologiques et initiatiques.

Et toujours sans texte ?

R- C'était le même concept, mais avec des histoires originales. Et malheureusement ça n'a pas vraiment marché. Du coup, après, la collection s'est arrêtée. Elle est toujours disponible chez l'éditeur qui a donc changé le format. Il fait vivre le fonds, mais même si nous sommes toujours consultés nous ne nous en occupons plus vraiment. Par contre, il n'y a plus de nouveaux titres.

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En parlant toujours de travail à quatre mains, avec Domas, vous avez aussi réalisé une BD sur la paternité, Tels pères, telles filles aux éd. Vents d'Ouest. C'était à la même période que Pouss' de Bamboo ?

R- C'est sorti en 2011 aussi. En fait c'étaient des gags que nous écrivions à deux avec Domas. En gros j'écrivais le pitch et lui, il le développait de façon plus approfondie.


Il y a six personnages, trois pères et leurs filles.

R- C'est marrant parce qu'il y en avait un c'était plutôt Domas avec sa fille toute bébé, un autre c'était un peu moi avec une fille un tout petit peu plus grande, et c'est l'éditeur qui nous avait demandé de rajouter un troisième père, avec une ado. Donc on a inventé complètement ce troisième duo de personnages.

Par contre il n'y a que toi qui dessines ?

R- Non. Je faisais le story-board, mais je posais tout de même ma patte. Parce que quand je fais des story-boards, ils sont assez poussés. [Richard nous montre ceux de sa dernière BD en date, Les Métalleux, qui sont des crayonnés effectivement assez précis.] Du coup, comme après Domas redessinait d'après mes story-boards, forcément il était influencé par mon trait. Après, il finalisait la page et encrait sur ma base de dessin.

J'avais une question qui est peut-être un peu bête : mais, à part toi Bruno qui a fait la série Zorn et Dirna chez Soleil qui, tout du moins à l'époque, était l'éditeur géographiquement le plus près, puisque basé à Toulon, il y a plusieurs livres des dessinateurs de l'atelier chez Bamboo ou la Boîte à bulles, pourquoi n'y a-t-il pas eu plus de collaboration avec Soleil, notamment compte tenu que vous avez été en contact au début de votre carrière avec Jean-Louis Mourier, le dessinateur de Trolls de Troy ?

B- Le problème, même si ce n'en est pas vraiment un, c'est qu'à côté de Marseille il y a Aix-en-Provence et à Aix il y a l'atelier Gottferdom avec Arleston et tous les dessinateurs qui bossent pour lui, et pour Lanfeust mag à l'époque. Donc chez Soleil leur atelier d'auteurs ils l'avaient déjà, c'était Gottferdom, et pas nous.
C'est vrai qu'ici au Zarmatelier, il n'y avait que Thomas Allart qui devait signer avec Soleil à une époque, et c'est tombé à l'eau. Et moi donc...
R- Et aussi Christophe Alliel qui avait commencé avec Les Terres de Caël, il a fait aussi un Kookaburra Universe, puis la série Spynest, tout ça chez Soleil, et après il est parti chez Grand angle [label BD plus adultes de Bamboo] avec Les Chiens de Prypiat.
B- Pour nous, il n'y avait pas d'accointances particulières avec tel ou tel éditeur, Soleil ou autres. Et ce qui était bien avec l'atelier, à cette époque où Internet n'était pas aussi présent, c'est que ça nous permettait de savoir comment chacun était traité par son éditeur. Après au fur et à mesure qu'Internet s'est développé, il y avait de plus en plus de dessinateurs qui allaient sur les forums, comme Café Salé, et commençaient à échanger sur leur expérience. Mais c'est vrai que pour nous à l'époque, le fait d'être en atelier c'était aussi très intéressant pour ça.

Vous parliez tout à l'heure de ces travaux de « com' »...

B- On ne court pas après ces travaux de com' mais nous ne les refusons pas pour autant quand ils se présentent.

Mais comme vous disiez c'est peut-être l'occasion de faire une « synergie » entre différents membres de l'atelier ?

R- Avec Bruno, nous en avons faits ensemble. Par exemple, nous avons réalisé une BD pour une société qui faisait de la recherche sur les sous-marins. C'était plutôt anecdotique et pas très intéressant dans l'absolu, mais ils voulaient faire une petite brochure avec une trentaine de pages de BD pour fêter les 50 ans de leur boîte et l'envoyer à leurs clients, quelque chose d'un peu institutionnel. C'est un ami qui a fait le scénario, Bruno a fait le story-board poussé, et moi par-dessus j'ai fait la finalisation. Au final, on a un dessin un peu bâtard qui n'est ni le sien, ni le mien, mais un dessin fait à quatre mains. Généralement c'est quelque chose qui est très bien payé, à peu près 3 fois plus qu'une BD classique, mais ça doit être fait en trois fois moins de temps, en 3-4 mois. Donc tu trouves des solutions...

"le fait d'être en atelier, ça nous permettait de savoir comment chacun était traité par son éditeur"
Travail de transmission

J'ai vu aussi que vous avez proposé dans le passé des ateliers autour de la BD.

B- Nous donnions des cours de BD pour l'envie de transmettre et d'encadrer. Mais nous n'en proposons plus parce qu'en début d'année il y avait dix étudiants mais il n'en restait que deux à la fin. Nous avons arrêté...
Mais c'était intéressant parce que tous les mardis soirs, tout le monde débarrassait ses tables, les élèves se mettaient dessus et nous les encadrions pendant deux heures environ. Ce n'était pas cher, très accessible, vraiment dans l'esprit associatif. Maintenant ce que nous proposons, c'est de recevoir des stagiaires.

Comme le jeune homme que j'ai vu à l'entrée ?

R- Oui, lui, c'est un stagiaire de 3ème avec un stage très court. Mais, le plus souvent l'été, nous accueillons des stagiaires d'écoles d'art pendant un mois ou deux. Nous n'avons rien à y gagner, nous faisons ça gratuitement. C'est vraiment pour la transmission, comme pour nous quand nous étions à la recherche à nos débuts de conseils auprès de Jean-Louis Mourier ou d'autres. Je me rappelle un jour où Didier Conrad [actuel dessinateur d'Astérix et qui a habité à Marseille] dédicaçait à La Passerelle. Pour moi c'était Dieu, et pouvoir rencontrer Dieu et qu'Il me dise comment tenir mon pinceau, comment faire un trait, « faire comme ça plutôt que comme ça »,... Ca a été tellement une illumination divine que nous nous sommes dit que ce n'était tout de même pas grand chose d'accueillir des jeunes qui faisaient de la BD ou du dessin. Il y en a très régulièrement : l'été dernier il y en a eu deux, là nous en attendons une pour le mois de mai,...
B- Par contre, ce sont vraiment des jeunes qui travaillent sur leurs projets à eux. Et pas que nous exploitons pour nous donner un coup de main sur les nôtres, ou pour faire des photocopies,... Nous leur demandons juste de nous faire des gâteaux ou à manger de temps en temps ! (rires)

Ces jeunes ne viennent pas forcément de Marseille ?

B- Non, ils peuvent venir d'Emile Cohl à Lyon, de Paris,... Nous prenons des stagiaires mais nous sommes un peu sélectifs tout de même. Nous leur demandons d'avoir fait au minimum un peu de BD.
Expositions

J'ai vu que vous aviez organisé plusieurs expositions, notamment pour les 10 ans du Zarmatelier à Aix.

B- Nous avons fait deux grosses expositions, celle des 10 ans à Aix [festival Rencontres du Neuvième Art d'Aix en 2011], un festival vraiment intéressant où les auteurs étaient très bien accueillis.
Et après, grâce à cette exposition, nous sommes allés voir L'Alcazar en leur disant « Eh oh, ça fait 10 ans que nous avons un atelier à Marseille et il faut que ce soit Aix qui nous mette en avant ? » Ils nous ont entendus et ils nous ont proposé de faire une grande exposition avec une scénographie complètement différente de celle d'Aix.
R- C'était en 2012, l'année qui a suivi celle d'Aix. C'était à l'étage dans la grande salle d'exposition, là où en temps normal il y a toujours des expositions d'art, de photo,...
Et il y a 4 ou 5 ans [dec 2017-fev 2018], ils nous ont aussi proposé de faire une exposition autour de la collection « Pouss' de Bamboo ». Avec Domas, nous avons imaginé des modules rappelant chacun des contes de la collection, comme une maison en pain d'épices pour Hansel et Gretel, la grotte d'Ali Baba,... Comme là c'était la ville de Marseille qui finançait, nous pouvions nous permettre des choses que nous n'aurions pas pu faire si c'était une petite association qui avait organisé l'exposition.

Et pour les 20 ans vous avez des projets d'exposition ?

B- Nous avions des idées mais là avec le Covid... Il y a plusieurs petites salles qui nous avaient proposé de faire des expositions. On verra... Nous aimerions aussi faire une sorte de sketchbook avec tous les dessinateurs de l'atelier...
R- Nous le ferons peut-être plutôt l'année prochaine, parce qu'aujourd'hui on ne peut rien prévoir...
B- Ou pour les 25 ans ?
R- Oui, le quart de siècle !
[Une exposition pour les 20 ans du Zarmatelier a finalement vu le jour à L'Alcazar en juin et juillet 2021, Le Zarmatelier planche à L'Alcazar]


Lien vers un article sur l'exposition Pouss de Bamboo à L'Alcazar
Exposition Pouss' de Bamboo à L'Alcazar - Marseille
Marseille

Je voulais aussi que nous parlions de votre rapport à Marseille. Vous êtes tous les deux originaires de Marseille ?

B- Marseillais de père en fils ! Nous n'avons pas forcément choisi Marseille, mais nous y sommes restés.

Vous parliez des loyers assez abordables à Marseille...

B- Ca c'était avant ! Avant la ligne TGV Marseille-Paris en 3 heures, qui a été ouverte en 2001-2002 je crois. R- Et après il y a eu aussi toute cette période où ils ont commencé la gentrification de la ville, la Joliette entre autres... Parce qu'avant qu'ils rénovent tout ce quartier, dont la Rue de la République, à la Joliette t'avais l'impression d'être dans le Bronx dans les années 80. C'était bien avant la construction du centre commercial, les Terrasses du Port.
C'est vrai que ces 20 dernières années, la gentrification du centre ville s'est vraiment amplifiée... Je crois que nous avons pris ce local pour l'atelier au moment où les loyers étaient encore bas. Après, il y a eu une flambée. Et là avec la crise tout va peut-être redescendre. B- Par exemple, le boulevard Chave c'est flagrant ! C'est devenu hyper bobo, un des quartiers les plus chers de Marseille, plus cher que les Cinq-Avenues.


Et la BD à Marseille ?

B- Au niveau de la BD, Marseille c'est vraiment le tiers-monde ! Quand en 2012, pour préparer Marseille 2013 capitale européenne de la culture, nous avons eu l'idée de monter un festival de BD. Nous sommes allés voir la mairie en leur disant « Nous sommes la deuxième ville de France, capitale européenne de la culture en 2013, et nous n'avons pas de festival BD » Nous avons été traités comme des gamins de maternelle. Depuis 3-4 ans, ça bouge un peu tout de même. Il y a une nouvelle librairie BD qui a ouvert vers Castellane, une dame qui avant était à Annecy, Le Square BD.
R- Ici pas loin il y a La Réserve à bulles, et aussi L'Antre du Snorgleux qui sont des copains.
B- Et qui nous éditent aussi.
R- Ma BD Eddy l'angoisse vient d'être rééditée chez eux. Donc dès qu'il y a des événements liés à des auteurs de l'atelier c'est la plupart du temps organisés au Snorgleux.


Ce n'est pas trop le cas en ce moment, mais il y a tout de même plusieurs festivals BD sur Marseille, à Luminy par exemple.

R- A Luminy, il y avait un festival organisé par l'école de commerce, mais déjà en 2019 ça avait périclité.
B- En plus ce n'était pas un vrai festival BD, mais plutôt un exercice pour les étudiants. Donc ça dépendait des années, de qui s'en occupait...
R- Il y avait notamment un prof là-bas qui était un très grand fan de BD. C'était même un acteur du monde de la BD il y a 25 ans, à l'époque où Yann et Conrad étaient encore à Marseille. Il était pote avec eux, il était actif à l'association Marseille BD. Donc c'est lui qui a initié ce festival qui a très bien marché les premières années, parce qu'ils ont trouvé des étudiants qui étaient motivés. Mais d'années en années, et quand lui a arrêté de s'y investir, ça a périclité... mais il y a eu de très chouettes éditions.
B- C'était très agréable pour tous les copains dessinateurs qui venaient de Belgique, de Paris, etc. Avec les Calanques à côté c'était agréable pour eux. Le public aussi se déplaçait, parce qu'une fois que tu es là-bas, tu gares la voiture, tu te fais faire une dédicace, et après tu peux aller te balader.

Et le Hero festival ?

R- C'est une sorte de grosse licence un peu comme la Japan Expo, même si c'est une initiative marseillaise. Mais ce n'est pas que BD, il y a du comics, du manga, et même aussi du cosplay de mangas et de super-héros.
B- C'est le festival du geek ! Là où la Japan Expo ce n'est que manga, eux ils ont rajouté le comics, Harry Potter, Star wars, tout ce qui est médiéval fantastique, une partie retro gaming, et tout ça... Nous y allons de temps en temps, au hasard des gens qui ont des stands. Moi la dernière fois que j'y suis allé c'était avec le Commis des comics, un youtubeur marseillais. Il avait une table et du coup il m'a invité et j'ai dédicacé mon bouquin sur sa table.
R- Des fois c'était sur le stand des libraires. Parce que le Hero festival c'est plutôt business : ce ne sont que des libraires qui prennent des stands qu'ils paient et qui invitent des auteurs sur leurs stands.
Alors que les autres festivals, comme à Luminy ou aussi le festival BD d'Allauch, à l'extérieur de Marseille qui avant était sur Plan-de-Cuques, c'est plus l'esprit « vrai petit festival », et pas une foire.


| Lien vers la chaîne Youtube
du Commis des Comics
FOCUS SUR :
Bruno Bessadi
Bad Ass

Après Zorn et Dirna, ta première BD chez Soleil avec Jean-Daniel Morvan au scénario, tu signes le dessin de Bad Ass, série qui présente des personnages qui sont plus que décalés (un ancien criminel, une femme dérangée,...), des bad boys qui deviennent les héros au détriment des super-héros classiques. C'est à mon avis un des meilleurs comics français !

B- Moi j'étais fan de comics, le scénariste [Herik Hanna] aussi, donc ça c'est super bien passé. Nous nous sommes vraiment éclatés à faire cette série ! Il y a eu 4 tomes et 2 spin-offs par d'autres dessinateurs. Mais là c'est fini...

C'est un projet que vous avez monté tous les deux ?

B- Non, c'était un mariage arrangé. David Chauvel [scénariste et éditeur aux éditions Delcourt] est venu me chercher et m'a proposé le projet. C'était vraiment super ! Après cela s'est un peu mal terminé parce que sur le tome 4 je leur ai posé un ultimatum. Ils m'avaient proposé de faire un tome 5. Je leur ai dit que je ne le ferai que si ils m'augmentaient. Ils ont refusé donc ça c'est arrêté au tome 4.
Je me suis retrouvé le bec dans l'eau et c'est comme ça que j'ai accepté de dessiner Amazing Grace chez Glénat, dont le premier tome est sorti en mai 2019. J'ai terminé le tome 2 en octobre mais il n'y a pas encore de date de sortie prévue. Là actuellement, j'ai signé chez Drakoo [label au sein de Bamboo dirigé par Arleston] pour une série avec un scénariste qui débute et qui s'appelle... Bruno Bessadi ! Ce sera une BD animalière, quelque chose que j'ai toujours voulu faire. À une époque j'avais déjà proposé un projet comme ça à Mourad [Boudjellal, fondateur des éditions toulonnaises Soleil] qui avait refusé l'idée. Ce sera une BD ados-adultes d'héroïc-fantasy. Je suis assez content de ce projet pour lequel je deviens un auteur complet.

C'est bien avancé ?

B- Mon tome 1 est validé et là je suis sur les 5 premières pages. Si tout va bien ce sera pour le début d'année prochaine. À moins qu'ils ne préfèrent attendre que j'avance sur le tome 2... En tout cas ça se passe très bien avec Drakoo !

D'autres projets ?

B- J'ai fait un financement participatif pour un artbook, un petit ouvrage auto-produit via Ulule. Donc j'ai vécu l'expérience Ulule ! J'ai trouvé ça super marrant. Je vais faire deux artbooks du coup. Je voulais n'en produire qu'un seul mais j'ai récolté plus d'argent que prévu et comme je suis un peu con, au lieu de le garder j'ai voulu réinvestir le surplus dans un deuxième artbook. C'est en rapport avec Inkctober, un challenge international qui consiste à faire un dessin par jour pendant tout le mois d'octobre suivant une liste de mots qu'il faut illustrer. C'était aussi pour moi une façon de m'échauffer parce que j'y ai utilisé le personnage de ma future BD. Donc j'ai deux petits livres auto-produits dont je suis bien content !

Est-ce que vous pensez que le financement participatif pourrait être un moyen de pallier à la baisse de revenus des auteurs, comme ce qu'a fait Lisa Mandel récemment ?

R- Tu gagnes toujours plus d'argent en direct que quand tu le fais avec un éditeur B- Moi mon Ulule ça m'a rapporté une certaine somme. Là-dessus, il faut enlever les frais de fabrication plus les frais de Poste, environ la moitié de la somme Ulule.
Après en tant qu'auteur, avoir un financement participatif qui tombe sur ton compte, les impôts ils s'en fichent de savoir si tu as mis la moitié pour l'impression. T'es obligé de déclarer toute la somme !
Nous avons des amis qui ont fait des cartons encore plus gros avec Ulule, dans ce cas-là, ils se sont montés en société.

Tu ne regrettes pas cette expérience ?

B- Absolument pas. Ça m'a vraiment plu. Pour la peine, je vais lancer un autre sketchbook à tout petit tirage, sans Ulule cette fois-ci. Lisa, elle a eu beaucoup de succès. La BD qu'elle a auto-éditée a été récupérée par Angoulême. Elle est nominée et tout.

À la gare Saint-Charles de Marseille, dans le cadre du Festival d'Angoulême, il y a même eu des extraits de sa BD dans les couloirs de la gare !

R- Maintenant elle a même monté une boîte...
B- Elle propose d'accompagner les auteurs pour faire de l'auto-édition.

Bad Ass

Est-ce que vous estimez que des formules comme ça d'auto-éditions et de financements participatifs pourraient être un avenir pour les auteurs ?

B- Carrément !

Mais à la place des éditeurs ou complémentaire au travail avec un éditeur classique ?

R- Complémentaire, je pense. Moi je ne me plains pas des éditeurs parce que je n'ai pas envie de faire toute la partie du boulot qu'ils font mais en tant qu'auteur nous avons, selon les contrats, 8 / 10 ou 12 %, et aujourd'hui 12% c'est bien. C'est moi ce que j'ai chez Kennes, c'est ce que propose aussi Bamboo et Drakoo. C'est très bien !
Quand on a commencé il y a 20 ans, chez Soleil (pour Bruno) ou chez Vents d'ouest (pour moi), nous avions 10% voire 8%.
B- Les paliers sont inaccessibles ! Quand on te fait un contrat à 8/10/12, les 10 ou les 12 % tu ne les auras jamais ! Il faut atteindre des tirages de 25000 exemplaires ce qui ne se fait plus maintenant, ou que très rarement.
R- Nous ne nous plaignons pas. Moi, j'ai des contrats à 12% dès le départ. Mais 12% ça ne reste pas grand chose. Quand tu vois que sur un livre à 10-12 €, la part que prend le libraire, la part que prend le diffuseur, le distributeur, ce n'est même pas l'éditeur qui se gave le plus. Et le moins bien payé du lot, cela reste l'auteur ! C'est pareil dans la musique, c'est pareil dans plein d'autres domaines. Donc c'est vrai que quand tu vois qu'avec ces systèmes-là, tu arrives à te faire quasiment 50% dans ta poche, tu réfléchis...

Après c'est aussi un travail...

R- Oui il faut que tu t'occupes de la com', du suivi,...
B- Et le stock.
R- Le stockage des livres aussi ! Tout ce que je n'ai pas envie de faire. Moi ce qui me plaît c'est de faire mes petits dessins, je les envoie et puis basta !

Du coup, vous avez signé la pétition des auteurs de BD pour le boycott d'Angoulême ?

R- Oui. Nous sommes à la Ligue des auteurs,... nous sommes sur tous les fronts ! Il faut !
B- En même temps, nous sommes des exemples un peu chanceux. Parce que cela fait 20 ans que nous sommes toujours là avec Richard ! Nous sommes professionnels ! Nous travaillons soit avec des gros éditeurs, soit avec des moyens éditeurs. Nous sommes presque des privilégiés alors que nous restons de modestes prolétaires mais quand tu entends ce qu'il se passe maintenant c'est hallucinant ! Il y a des gros éditeurs BD qui proposent 600 € pour faire 100 pages. C'est aberrant !
R- C'est vrai qu'il y a 10-20 ans c'étaient des petites structures associatives ou underground qui te proposaient ces tarifs. Ce n'étaient pas des BD très grand public. Alors pourquoi pas... Mais là si des grosses boîtes se mettent à faire des contrats dégueulasses...
B- Si t'as le choix entre te faire 600 € chez un gros éditeur BD et 5000 € avec Ulule... Ces projets participatifs ça permet une alternative !

Vous pensez que les gros éditeurs profitent de la jeunesse des auteurs débutants ?

B- Oui, bien sûr. Ils profitent de la jeunesse. Nous sommes tous passés par là. Moi mon premier contrat quand je suis allé voir Mourad, je lui avais dit je veux 300 € la page (même si c'était des francs à l'époque) Il m'a dit « OK pas de problème ! » Mais en fait c'était 300 € la page tout compris, les couleurs, le scénario,... ça fait partie des erreurs de débutant. Forcément, les éditeurs dès que tu es jeune, ils en profitent !
Après il y a aussi le plaisir... A l'époque, et pour Richard c'est pareil, un éditeur nous aurait dit « je te signe sans te payer » j'aurais dit oui !
R- Quand on avait 25-30 ans, nous étions prêts à tout pour bosser. A posteriori, vu comment j'ai été traité chez Glénat et Bruno chez Soleil, je préfère comment je suis traité aujourd'hui chez Bamboo et Kennes, qui sont des boîtes bien moindres, quoique Bamboo est en train de devenir assez gros et Kennes est une petite maison mais qui a été montée par l'ancien PDG de Dupuis après son rachat par Média Participations. Finalement ce ne sont pas des énormes avances sur droits mais ce sont des meilleurs contrats, des meilleures conditions. Je n'ai aucun regret. Je n'ai pas l'impression d'être dégradé d'être chez Kennes. Bien au contraire, j'ai de meilleures conditions de travail.
"Et le moins bien payé du lot, cela reste l'auteur !"
FOCUS SUR :
Richard Di Martino
Eddy l'Angoisse

Richard, en 2020, tu as sorti deux ouvrages. D'abord, il y a eu la réédition d'Eddy l'angoisse...

R- L'an passé le Snorgleux a réédité Eddy l'angoisse qui était sorti chez Paquet en 2008. C'est une nouvelle édition un peu augmentée puisqu'il y a un chapitre en plus.

C'est une BD qui est d'influence autobiographique ?

R- Plus ou moins. C'est un peu autobiographique mais ce n'est pas moi le personnage. Moi je suis musicien amateur à côté. J'ai commencé à jouer vers 16 ans dans des groupes de métal et de rock. Quand j'ai fait cette BD j'avais envie de raconter plein d'anecdotes qui m'étaient arrivées ou qui étaient arrivées à des copains. En plus de la vie de tous les jours, il y a des histoires d'amour,... Tout ça dans le milieu du rock'n'roll, parce que j'avais envie de faire une BD rock'n'roll.
Donc voilà c'est la réédition de ce livre qui n'est plus tout jeune aujourd'hui. Il a plus de 10 ans !

Eddy l'Angoisse

C'est bien tombé parce que toujours en 2020 est sortie une autre BD, Les Métalleux !

R- C'est une BD de gags en une page, tout ce qu'il y a de plus classique, comme Les Pompiers, Les Gendarmes, etc sauf que là ce sont des Métalleux. Ca peut sembler opportuniste pour certains mais moi c'est vraiment mon univers, un monde que je fréquente depuis toujours ! Ma vie, c'est la Bande dessinée ET le rock en général, mais surtout le métal ! J'ai fait plein de concerts de métal en tant que spectateur mais aussi en tant que musicien, je suis allé plusieurs fois au Hellfest évidemment. Il y a tout un folklore dans le métal avec beaucoup de clichés sur lesquels je joue. Il y a plein de subtilités aussi, plein de choses à dire, plein de blagues, plein de moyens d'en rire.
J'ai commencé le projet tout seul et je me suis vite rendu compte au bout de quelques gags que je n'arriverai pas à remplir un album entier. A l'époque j'avais une élève qui écoutait du métal aussi, Chloé qui est donc devenu ma co-scénariste, à qui j'avais montré le projet et qui un jour m'a proposé de m'aider. Elle m'a pondu plein d'idées, ça m'a remotivé ! Nous avons contacté plusieurs éditeurs et nous avons signé chez Kennes. Le tome 1 est sorti en septembre 2020. Nous avons fini le tome 2 qui sortira au mois de mai 2021. Et là je débute le tome 3 dont je suis justement en train de faire la couverture. Voilà, c'est ma période où je reviens au rock'n'roll.

Les Métalleux
J'arrête la jeunesse, du coup. Ma fille a grandi, elle est ado maintenant et je n'ai plus trop envie de faire de la BD jeunesse. La collection « Pouss' de Bamboo » est arrêtée. Après j'avais fait Cléo [le tome 1 Cléo la petite pharaonne a paru en 2015 chez Bamboo et le deuxième et dernier en mars 2016]. J'étais dans cette dynamique de faire des BD jeunesse. Je crois que ça correspond au fait d'être parent. Il y a beaucoup d'auteurs qui disent qu'ils ont envie de faire de la jeunesse quand ils deviennent parents.
Et là j'ai à nouveau envie de faire des choses pour moi, et moi la BD d'humour c'est mon truc ! La base pour moi c'est Franquin, Uderzo, Conrad. Les Métalleux, c'est de l'humour, ça parle de rock !
Pour après je n'ai pas de projets précis. J'ai des envies : j'ai envie de faire du western, j'ai envie de faire une BD animalière aussi. On verra...
FOCUS SUR :
Yann Madé

Comment êtes-vous arrivé au Zarmatelier?

Je faisais partie du fanzine Kérozène, dans les années 90, avec Bruno et Richard, j’ai donc failli intégrer l’atelier dès ses débuts… mais j’ai quitté Marseille et arrêté la BD un certain temps. Je suis revenu épisodiquement, pour finalement intégrer l'atelier à la rentrée 2015, et de façon officielle en janvier 2016, à la sortie de mon premier album édité chez un éditeur, Cher Moktar à La Boîte à bulles.

Cher Moktar

Que vous apporte, artistiquement et/ou humainement, la vie en atelier ?

J’ai intégré l’atelier pour, justement, être au milieu d’autres auteurs, ayant d’autres connaissances sur la BD que les miennes, la plupart sont des amis de longue date, et ce qui me plaisait vraiment, c’est que contrairement à d’autres ateliers, nous avions tous des productions très différentes dans le style et la forme. On se re-motive souvent, notre pratique étant plutôt solitaire.

Vous avez réalisé un ouvrage très personnel Cher Moktar en 2015 suite aux attentats de Charlie Hebdo.

Depuis j’ai sorti plusieurs albums, essentiellement auto-produits. Je suis en train de finaliser deux albums, un autobiographique Microsillons qui sortira en juin 2021 aux éditions Jarjille, et Un autre dessin du monde un livre historique sur la géographie médiévale méditerranéenne qui devrait sortir à la rentrée ; le suivant que je voudrais voir publier en 2022 sera sur la chanteuse Colette Magny.

Quel est votre rapport avec Marseille, professionnellement et humainement ?

  J’ai toujours habité la proche « banlieue » de Marseille, de Salon aux Quartiers Nord, et je suis depuis 20 ans à Martigues. J’aime beaucoup l’énergie de Marseille, mais n’y habite pas, car cette énergie peut être usante, au quotidien. D’où mon choix de cet « entre-deux » de l’atelier, venir y travailler de 9h à 17h me va bien. J’aime son ouverture maritime au reste du monde, ses multiples quartiers/villages, son franc-parler, sa tension, ses immigrations successives et donc sa culture métissée. Même si les artistes et le monde culturel marseillais sont un peu organisés en « tribus » (la Friche, la plaine, le Mucem, etc.) qui se côtoient peu, se connaissent peu et se sentent du coup en concurrence sur le territoire marseillais. Il y a peu de « transversalité » (contrairement à Lyon, par exemple) et encore moins entre les « arts ». J’y suis sensible car je suis à la fois auteur de BD, formé comme plasticien, et grand passionné de danse. Concernant la BD, les auteurs eux-mêmes gravitent autour de lieux, de librairies, d’institutions culturelles, mais ne travaillent pas avec d’autres. Concrètement le Zarmatelier travaille assez facilement avec la bibliothèque L’Alcazar, avec certaines librairies de la Plaine, mais peu avec le Mucem et pas du tout avec la Friche Belle de Mai. Et inversement pour d’autres ateliers d’auteurs.
Professionnellement, c’est certainement plus simple dans d’autres villes que je connais (Nantes, Lyon…) mais je préfère cette énergie méditerranéenne. Et ça m’a permis des expériences riches avec le Maghreb etc ( avec des auteurs Tunisien, algérien, libanais…)

Microsillons
FOCUS SUR :
Domas

Comment es-tu arrivé au Zarmatelier ?

En 2002, j’étais auteur « semi-pro », comprendre que j’éditais des BD, mais chez des éditeurs associatifs, pas diffusées nationalement. Les planches de l’une d’elle, Les aventures de Ambre et Arno, étaient exposées au-dessus du bar du Marché, qui jouxte le Zarmatelier. Elles présentaient le début de ma BD, où l’héroïne est sourde, et s’exprime en langue des signes. Le hasard a voulu que Yann Valéani et Eric Stoffel, co-fondateurs et membres de l’atelier à cette époque, voient ces planches. Comme un personnage de leur BD en cours Derm était sourd, ils ont fait passer le mot à Doumé, le serveur du bar, qu’ils aimeraient bien que je passe pour leur donner deux ou trois signes de Langue des Signes Française à dessiner dans leur album.
Je suis donc passé à l’atelier, et là, c’est Bruno Bessadi qui m’a accueilli. Nous avions des connaissances communes, nous nous étions croisés en festival où nous présentions chacun nos propres fanzines… Bruno savait que je scénarisais mes histoires, et il avait besoin d’un scénariste pour sa série 2gars2mars, strip qui paraissaient chaque semaine dans Marseille L’Hebdo. J’ai bien sûr accepté de bosser avec lui là-dessus, et de ce jour j’ai commencé à passer régulièrement à l’atelier pour lui amener des scénars, puis à m’installer de temps en temps sur la table d’accueil, puis de plus en plus souvent… Jusqu’à ce que les membres de l’atelier me proposent d’intégrer officiellement l’atelier, en 2003. 

Que t'apporte, artistiquement et/ou humainement, la vie en atelier ?

Humainement, ça permet de ne pas être seul devant sa table à dessin ! De rentrer dans un rapport social journalier, de s’imposer un rythme. Comme le disait Mathilde Domecq, un auteur BD peut facilement ne sortir de chez lui que pour aller chercher son pain, ce qui est peu en terme d’épanouissement social ! Ma venue à l’atelier m’a permis d’intégrer un cercle d’amis qui sont devenus les miens, tout en me permettant de garder ma propre personnalité : les auteurs sont des individualités fortes, et l’avantage d’un atelier, c’est que, si ca fonctionne, les individualités s’additionnent, elles ne s’annulent pas. 
Professionnellement, ma venue à l’atelier a été décisive. Elle m’a permis d’intégrer un groupe, mais au-delà un réseau. Ce qui m’a permis de trouver plus de travail, des commandes ponctuelles, mais aussi des projets à long terme, notamment avec Richard Di Martino. En ce qui me concerne, on peut même dire que ma venue à l’atelier m’a permis de trouver un partenaire professionnel, ça fait plus de 10 ans que nous travaillons régulièrement ensemble, sous toutes les formes possibles (à quatre mains, l’un au scénario et l’autre au dessin et vice versa, etc…). Etre en atelier permet aussi de connaître les conditions de travail d’autres auteurs, chez d’autres éditeurs, et ainsi de pouvoir se positionner en connaissance de cause vis-à-vis de son propre éditeur. 
Enfin, l’atelier a eu sur moi une influence décisive, puisque c’est là que je me suis professionnalisé. A l’époque où j’y suis arrivé, tous les membres étaient chez des éditeurs professionnels, et vivaient de leur dessin. A leur contact, j’ai appris mon métier : savoir dessiner n’importe quoi, dans les délais impartis. Ne pas me limiter à mes envies, mais répondre aux besoins.
Artistiquement, je ne sais pas si l’atelier a eu une influence majeure, par contre. Je dois dire qu’au début, des auteurs comme Yann Valéani ou Richard Di Martino m’ont permis de combler mes lacunes en dessin ; Yann m’a appris la perspective, Richard la synthétisation. C’est à l’atelier que j’ai pu intégrer les codes de la BD et de la narration graphique (composition, découpage, etc…), tous ces aspects techniques que je n’avais appris nulle part, et qui m’ont permis ensuite de maitriser au mieux mon médium, la BD, pour passer mes messages. Comme je le disais, professionnellement cette aide a été décisive. Mais la notion d’Art évoque pour moi une création liée à un besoin viscéral. Et de fait, ma première BD que je qualifierai d’artistique, Litost paru en 2008 à La Boîte à Bulles a été composée surtout chez moi, et peu à l’atelier, où je redoutais les critiques et les retours sur un dessin si peu académique.

Litost

Avec Richard di Martino, vous avez monté une collection de BD jeunesse, Pouss' de Bamboo. As-tu d'autres projets collaboratifs de la sorte ?

  Pas dans le même fonctionnement que la collection Pouss' de Bamboo. Ce projet, né d’une idée de Richard, nous a permis d’intégrer un autre aspect du milieu de l’édition, celui de directeur de collection. Ça a été une expérience très enrichissante, humainement parlant, et, si la collection ne sort plus de nouveautés pour l’instant, elle reste exploitée, et notre collaboration avec Richard continue donc plus ou moins ! 
Cependant, depuis quelques années, je fais partie de l’Hippocampe, une association qui s’occupe du concours de BD pour personnes handicapées du festival d’Angoulême, et a créé un ESAT d’arts Graphiques là-bas. Avec Yann Madé, membre de l’atelier et de l’Hippocampe, nous souhaiterions créer un autre ESAT Arts Graphiques, avec le soutien du Zarmatelier, mais c’est un projet qui se fera, peut-être, sur le long terme. Il suppose déjà que nous changions de local, puisque l’actuel est trop ancien pour les normes nécessaires à un ESAT, et que nous trouvions des partenaires institutionnels pour nous accompagner…

Green Team

Quels sont tes projets artistiques à venir ?

Avec KarinKa au scénario et David Lunven aux couleurs, nous préparons la suite de Green team, série jeunesse éditée par Kennes. [Le tome 2 est sorti en mars 2021, juste après cette interview par mail] J’aime l’humour légèrement piquant que KarinKa y déploie, et j’adore animer les garnements qu’elle met en scène ! 
Je prépare aussi une BD d’humour aux éditions Bamboo, pour laquelle je suis à la fois au scénario et au dessin. Un contexte familial qui me permet de rire de ce qui, dans la vraie vie, m’horripile…
Et enfin je passe au spectacle vivant, avec le conteur Martin Barotte. Après avoir créé ensemble la BD Jan des Cavernes aux éd. Bamboo, nous l’avons adaptée dans un spectacle de conte dessiné. Je dessine en live pendant que lui conte, en mélangeant jeu théâtral, dessin et théâtre de papier. 

Quel est ton rapport avec Marseille, professionnellement et humainement ?

  J’y vis depuis 27 ans, mes filles y sont nées, et j’y ai planté les racines de ma carrière. Avant d’être père, j’ai beaucoup profité des différents aspects de la ville, elle a nourri mon imaginaire populaire, elle m’a donné des cadres, des lumières, de l’air.
Professionnellement, j’y ai rencontré le Zarmatelier, il y a 20 ans, et ça a été, je l’ai dit, décisif.
Malheureusement, je ne peux pas dire que Marseille soutient notre professionnalité. La deuxième ville de France n’a pas de festival BD, peu de librairies spécialisées. Les auteurs de BD sont nombreux ici, mais la ville n’instaure pas de dynamique culturelle. Il est dommage que la culture ne prenne pas sa place et utilise ses acteurs localement. On pourrait imaginer de faire rentrer les artistes dans les écoles, de créer des lieux… Mais Marseille a d’autres priorités, et, comme d'autres, j’espère beaucoup des changements qui ont eu lieu dans les hautes sphères, en espérant ne pas être déçu socialement et culturellement.
FOCUS SUR :
Zoé Redondo
Zoé Redondo

Comment es-tu arrivé au Zarmatelier ? 

Momo [Mohamed Labidi, story-boarder et membre du Zarmatelier], Bruno et Rich qui étaient profs à Axe Sud m’ont fait découvrir l’atelier, puis en 2017, après mon diplôme, j’ai allègrement squatté les tables disponibles puis ai officiellement intégré le Zarma en août 2020, après avoir signé un contrat de BD, puisque c’est la condition pour être acceptée ici ! J’ai aussi beaucoup fait les yeux doux, je crois que ça a aidé.

Que t'apporte, artistiquement et/ou humainement, la vie en atelier ?

Artistiquement, c’est trop bien. Y a toujours quelqu’un pour filer un coup de main dès qu’on bloque quelque part, on se fait découvrir plein de bouquins, on s’apprend beaucoup, puis humainement, déjà on travaille avec les copains, c’est une super motivation, on s’encourage et puis c’est un cadre pour ne pas rester chez soi à se gratter les fesses.

Quels sont tes projets artistiques à venir ?

  J'ai une BD en cours avec Martin Py chez la Boîte à Bulles ! Ce sera un genre d’essai social sur la masturbation prostatique.
Je suis aussi en train de monter un dossier de recettes grecques et sur la vie de ma grand mère, ça va être chouette !
À part ça, j’aimerais bien continuer à faire des strips sur Instagram, c’est plutôt rapide à faire et la satisfaction est immédiate, c’est très plaisant.

Quel est ton rapport avec Marseille, professionnellement et humainement ?

  C’est rigolo parce qu’avant j’aimais pas du tout Marseille. Puis j’en suis tombée amoureuse, je suis née et j’ai grandi ici mais ça m’a pris vachement de temps pour découvrir ce que cette ville a de meilleur. La respiration de la mer, le soleil écrasant, la colline, les calanques, son joyeux bordel et le mélange des cultures. Du coup, je me sers de tout ça pour enrichir mon travail, autant dans les couleurs que dans les thèmes que j’aborde, je crois qu’on peut sentir l’influence de la Méditerranée.


| Lien vers l'Instagram de Zoé
Un grand merci à Richard Di Martino et Bruno Bessadi pour leur accueil, à Zoé Redondo, Yann Madé et Domas d'avoir bien voulu répondre à quelques questions par mail et à Hélène Beney pour nous avoir mis en relation avec Richard !

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