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40 bulles de jazz 30/06/2022
exposition à l'Alcazar - jusqu'au 31 août 2022
C'est dans le cadre de son festival Alcajazz que la médiathèque du Cours Belsunce, par ailleurs ancienne salle de spectacles musicaux, présente l'exposition « 40 Bulles de jazz » initiée par un autre festival, Jazz à Vienne. Cette exposition réunit un casting riche de 40 auteurs BD qui ont créé spécialement un dessin pour l'occasion. Originalité de l'événement, les organisateurs ont eu la bonne idée de proposer à 40 écrivains, journalistes, scénaristes voire musiciens de rédiger un texte à partir de ces dessins.
Une exposition visible jusqu'à fin août 2022 et entièrement gratuite.
Un casting impressionnant
Si quand on parle musique et BD, on pense plus au rock, voire au blues, qu'au jazz, force est de constater que jazz et BD ont entretenu une riche histoire. Ainsi des albums sur Billie Holiday par Munoz et Sampayo, celui sur Barney Wilen intitulé Barney et la note bleue par Loustal et Paringaux, ou encore plus récemment la biographie de Josephine Baker par Catel et Bocquet, sans oublier de nombreux polars en BD qui prennent le jazz comme toile de fond telle la série Blacksad dessinée par Guarnido. Des auteurs qu'on retrouve tous au casting de l'exposition, aux côtés aussi bien de grands anciens comme Hermann, Schuiten, Bilal, Margerin ou l'omniprésent Geluck, que les « jeunes » pousses Bastien Vivès ou Pénélope Bagieu, une des rares autrices présentes avec Florence Cestac, Catel, Nicole Claveloux et l'américaine Emil Ferris.
Car le casting est également international puisqu'en plus de ces auteurs franco-belges, on peut admirer le travail d'auteurs étrangers, américains forcément et pas les moindres avec les contributions d'Art Spiegelman, Charles Burns, Chris Ware,... et les quasi-français Shelton et Crumb ainsi que des hispanophones (Guarnido, Munoz, Pellejero), un flamand (Brecht Evens), des italiens (Manara et Mattotti) et même un japonais (Shinichi Ishizuka).
Extrait de Quai d'Orsay
Si certains dessins sont assez « paresseux » (Cabu expédie Quincy Jones, Loustal s'auto-caricature avec son « Jazz à Lanzarote », tout comme Bilal ou Margerin d'ailleurs !), on sauvera parmi les grands anciens étonnamment Manara qui signe un dessin très « prattien » représentant une femme (non dénudée – rassurez-vous les enfants sont bienvenus !) violoncelliste dans une ambiance automnale de feuilles mortes sépia, ou dans un tout autre genre Geluck qui si il ne fait pas d'esbroufe technique arrive à amener un peu d'humour en orchestrant un « Cats band » de six de ses chats qui chacun détourne un instrument de musique, comme par exemple l'accordéon qui devient une batterie.
Nous vous épargnons la revue de détail de chacun des 40 dessins – ils n'en valent pas toujours la peine –, nous tenions à revenir tout de même sur les plus marquants.. Et si de nombreux dessinateurs ne font que transfigurer leur univers BD (personnages ou ambiance) avec une plus ou moins vague note jazzy comme Emil Ferris ou Ludovic Debeurme, d'autres sont plus aventureux.
Passons sur le dessin repris sur l'affiche qui ouvre l'exposition signée Marc-Antoine Mathieu qui fait du Marc-Antoine Mathieu, c'est-à-dire intéressant au niveau de la forme mais un style plutôt plat, pour aller directement aux deux portraits N&B d'Eric Dolphy et Charlie Mingus signés respectivement Brüno et José Munoz. Si le premier est comme à l'accoutumée chez Brüno d'une économie de traits pourtant confondante de précision, celui de l'argentin Munoz est d'une étrangeté quasi baroque représentant de ¾ dos le musicien et sa contrebasse à moitié immergés dans la mer, et dont les nombreuses gouttes d'eau (ou de sueur) qui les entourent donne l'impression que le musicien est en train de jouer frénétiquement, comme s'il était en transe.
Ou encore l'étonnant dessin de Blutch, grand fan de jazz devant l'éternel, intitulé « Jazz à domicile » représente le saxophoniste Charles Lloyd (avec la mention « Charles Lloyd Montreux 1967 ») en train de jouer dans le salon de celui qui semble être l'auteur de BD qu'on voit allongé sur son canapé, mais auditeur attentif. On est assez étonné par les couleurs très flashy des vêtements du jazzman qui, d'après le texte de José-Louis Bocquet qui accompagne le dessin, est le seul musicien à rendre « audible le jazz coltranien aux hippies du flower power ». Texte qui nous apprend également que le live à Montreux de Charles Lloyd est la seule musique à disposition de l'auteur de BD pendant le confinement du printemps 2020, disque qu'il est allé chercher avec d'autres affaires lors d'un aller-retour depuis son lieu de vacances en mer vers Paris avant que les trains ne soient supprimés.
Mais aussi, heureuse surprise, Rebecca Dautremer qui livre une petite image carrée à la composition étonnante aux dominantes noires et rouges où l'on voit des musiciens se cacher derrière une masse noire en forme de piano et placés devant un mur sur lequel sont placardés grâce à un collage informatique une multitude d'affiches de concert de jazz, Louis Armstrong et Cab Calloway en tête. À noter également le texte de Michel Bussi qui invente une petite fiction en faisant des références aux différents livres de l'illustratrice du récent Des souris et des hommes à Jacominus ou Alice.
Mais c'est certainement la planche de Chris Ware – un auteur que pourtant nous n'apprécions pas plus que ça, et qui est en ce moment exposé au Musée Beaubourg à Paris – qui impressionne le plus. Déjà, au premier abord, par ses dimensions (40 x 60 cm de haut !) puis, en s'approchant, par la minutie de son travail (précision du trait et du lettrage), d'autant plus que grâce à l'utilisation de la mine bleue (qui n'est pas reproduite à l'impression, rappelons-le) on peut deviner la construction de ses dessins. Et enfin par la composition de la planche (25 cases !) qui raconte un moment de la vie de Scott Joplin « king of rag time » (comme le sous-titre de la planche) où le musicien n'arrive plus à jouer pour par la remarquable « méthode Pianola » qui, un peu comme un orgue de barbarie, reproduit fidèlement le style des interprètes, la case finale en forme de biographie avec son lettrage manuel en blanc sur fond noir (mais comment fait-il ?).
Mais qu'elle n'est pas notre surprise quand nous découvrons que le tout petit texte qui se trouve sous la planche annonce un concert à Chicago de reprises de Scott Joplin par Etcetera String Band un groupe de Kansas City - Serait-ce que cette planche a servi d'affiche pour ledit concert ? Ou une chronique dans un magazine pour annoncer cette soirée ? À moins que ces dernières lignes ne soient qu'un témoignage / souvenir de l'auteur en forme de journal intime. À noter que Chris Ware a réalisé la pochette d'une intégrale discographique de Scott Joplin.

Portrait de Caroline Sury
Et les textes ?
Si le casting des auteurs BD de cette exposition est impressionnant celui des écrivains qui signent les textes n'est pas en reste avec des noms comme Erik Orsenna ou Sorj Chalandon, tout en faisant la part belle fort logiquement aux auteurs de polars, tels que Didier Daenickx, Michel Bussi ou Fred Vargas.
Écrits après coup, en regard des dessins, les textes se font souvent explication de la partie graphique ou présentation du dessinateur et de son rapport avec l'écrivain et/ou avec le jazz. Si ce n'est pas toujours très original, cela reste tout de même plus intéressant qu'un banal cartel biographique.
Si il est touchant de lire Philippe Val parler de Cabu et de sa passion pour le jazz, le musicien britannique Hugh Coltman raconter sa rencontre avec le dessinateur Guarnido pour un concert dessiné à Angoulême (il faut dire qu'il ne devait pas avoir grand chose à dire sur le dessin très banal). Mention spéciale à des textes apportant autre chose comme ceux de Dalie Farah sur le dessin assez quelconque de Dave MC Kean sur le jazz à Paris dans les années 20, ou celui accompagnant le dessin d'Yslaire sur les débuts du jazz à la Nouvelle-Orléans au début du XXème siècle, ville multiculturelle avec son quartier français, comme un pendant américain de Marseille.
Ou encore le texte de Benoît Peeters pour son acolyte François Schuiten le duo créateur du cycle fantastique des Cités obscures. Si le dessin toujours ébouriffant de maîtrise technique mais assez plat et convenu fait plus allusion à l'univers de la musique classique représentant un étonnant bâtiment en forme de croche vers lequel se précipite une foule de musiciens avec leurs instruments (harpe, vieux piano,...), le texte de Benoît Peeters invente pour l'occasion une nouvelle cité, Viéna capitale des Allobroges (du nom de la tribu gauloise de cette région du Rhône-Alpes.
Mais c'est surtout le texte très touchant de Fred Vargas sur son ancien compagnon dans lequel elle raconte, admirative, les défis qu'elle lui lançait pour « dessiner l'impossible » ! Un très bel hommage à ce dessinateur qui donne effectivement l'impression de tout pouvoir représenter, comme ici avec son « Jazz Dream », enchevêtrement de grandes figures du jazz dans son style toujours virtuose.
Ou le joli texte de Didier Daeninckx sur Miles Hyman qu'il rebaptise « Hey man » et qui commence par ces mots « difficile de ne pas croquer le jazz quand on se prénomme Miles ».
On aurait tout de même aimé plus de mini-fictions inspirées des dessins, comme celle de Julie Bonnie sur le dessin pourtant plus que moyen du japonais Shinichi Ishizuka.
Si on peut regretter malheureusement qu'il n'y ait quasiment que des reproductions – et pas toujours au format de l'original comme pour celui d'Art Spiegelman dont l'original mesure 100 x 78 cm et non pas env 60 x 40 cm comme sa reproduction, mais c'est certainement plus facile à déplacer –, pour ceux qui veulent prolonger le plaisir, qui sait en écoutant un bon disque de jazz par exemple, sachez qu'on peut retrouver tous ces dessins et les textes qui les accompagnent dans un catalogue édité pour l'occasion et en vente à l'Alcazar.

Catalogue de 40 bulles de jazz
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