CHRONIQUES
DAC – Déconstruction de l'analyse constructive
de David Snug 03/07/2021
éd. Même pas mal
Parution : mars 2021 - 88 pages N&B + 1 CD de Trotski Nautique – 17 x 22 cm - Prix : 16 €
Après des titres aussi évocateurs que Je n'ai pas de projet professionnel ou Dépôt de bilan de compétences, David Snug, chantre de la vie de bohème, auteur de Bande dessinée mais aussi musicien, publie un nouveau livre avec encore un titre parodique DAC – Déconstruction de l'analyse constructive paru aux éd. Même pas mal en mars 2021, recueil de chroniques du quotidien en BD réalisées de début septembre 2019 à fin août 2020 (un an pile poil !), soit couvrant entre autres la période du premier confinement et l'été qui suivit. Chroniques dans lesquelles on retrouve son humour pas si potache, puisque revisitant tous les questionnements qui ont pu découler de ces mois de restrictions : comment occuper ses journées pendant le confinement, la dépendance au numérique,... et surtout la poursuite d'une réflexion sur comment vivre le plus simplement possible dans un monde qui semble aller dans le mur. Bref, sous couvert de chroniques humoristiques, des réflexions drôles mais loin d'être insensées !
Présent à Marseille début juillet 2021 pour le vernissage de son exposition visible jusqu'à la fin de l'été chez son éditeur marseillais Même pas mal (vernissage qui s'est clôt par un concert de Trotski nautique, le groupe de « musique de jeunes » de Snug), nous en avons profité pour lui poser aussi quelques questions...

BD + Punk-rock = intégrité ?
Pour ceux qui ne le connaîtraient pas, David Snug (de son vrai nom Guillaume Cardin) est certainement - que ce soit en musique ou en BD, ses deux domaines de prédilection - un des rares artistes, tout du moins en France, qui soit aussi intègre.
Comme il le raconte dans plusieurs de ses ouvrages (notamment Je n'ai pas de projet professionnel paru en 2017, également chez Même pas mal), David Snug, inspiré par une certaine éthique issue du punk rock qui fuit toute forme de capitalisme comme la peste, vit de son art sans réelle ambition, si ce n'est celle (et non des moindres) d'éviter au maximum les compromissions avec les modèles social et politique dominants.

Couverture de Je n'ai pas de projet professionnel de David Snug, éd. Même Pas mal
Engagement personnel et humour
Vegan, adepte de longues balades à pied, David Snug n'utilise que le train pour ses déplacements, réduits au minimum (essentiellement pour rencontrer son public lors de concerts – ou des galas, comme il dit – avec son groupe de « musique de jeunes » Trotski nautique dont on retrouve un CD dans ce dernier ouvrage, ou pour la signature de ces BDs éditées au sein de structures alternatives, comme Même pas mal à Marseille, Marwanny à Die ou Nada à Paris, après avoir travaillé avec Les Enfants rouges à Nice). Il cherche en général à réduire sa consommation matérielle au strict minimum (même si depuis peu il dessine au moyen d'une palette graphique directement sur ordinateur, ce qui utilise plus d'énergie électrique que le feutre ou le pinceau sur papier).
Une page extraite de DAC de David Snug
Une page extraite de DAC de David Snug
Chroniques de confinement ?
Commencé début septembre 2019 (quelques mois avant le confinement) et l'été qui s'ensuivit, le projet n'était bien sûr pas de faire un journal du confinement, même si cela occupe forcément une bonne part du recueil.
Mais l'acuité de la vision que porte David Snug sur notre monde et son humour dépassent de loin tous les blogs ou journaux nombrilistes qui ont fait florès pendant cette période propice à l'introspection.
Si le regard souvent très drôle qu'il porte sur notre façon de vivre pousse à réfléchir, c'est surtout parce que David Snug broie tous les travers de notre quotidien à la moulinette d'un humour qui souvent prêche le faux (les contradictions du monde moderne) pour mettre en valeur le vrai (son idéal de vie simple et frugal), comme la géniale figure du « dictateur amateur » qui revient à plusieurs reprises dans cet ouvrage, parodiant nos gouvernants et leurs discours parfois dignes de régimes totalitaires.
Qu'il invective le lecteur ou sa chaussure qu'il nomme Vendredi (eh oui pendant le confinement nous étions bien souvent devenus des Robinson, seul sur notre île !), ce qui est aussi bon avec l'humour de David Snug, c'est que tout le monde en prend pour son grade : les radios propagandistes d'état France Inter et France Culture, le public et les organisateurs des concerts à prix libre (mais tout de même au tarif conseillé de 5 €),... mais aussi et surtout les vrais-faux écologistes médiatiques ! Ainsi sont raillés Nicolas Hulot, Pierre Rabhi, Denis Cheissoux, Mélanie Laurent, Juliette Binoche,... qui, alors qu'ils n'hésitent pas, eux, à se déplacer en avion à la moindre occasion, nous assènent de conseils souvent absurdes et démagos voire infantilisants, conseils que la couverture de cette BD met en exergue dans une scène de manif avec des panneaux sur lesquels figurent des slogans à mourir de rire (jaune ?) : « Faire pipi dans la douche pour sauver la planète », « Fermez bien votre robinet quand vous lavez vos dents », « Si tu ne mets pas la bouteille dans la poubelle jaune la pollution c'est ta faute », « On veut des pailles en carton pour nos boissons », « Arrêtons de manger de la viande le lundi pour sauver les animaux le lundi »,... et autres « On veut des SUV électriques »
Une page extraite de DAC de David Snug

« Fermez bien votre robinet quand vous lavez vos dents »
Une page extraite de DAC de David Snug
Une page extraite de DAC de David Snug
Et la musique dans tout ça ?...
David Snug parle aussi régulièrement de ses goûts que ce soit en musique (Lispector, Jason Molina, Nirvana,...) ou en BD (l'autrice américaine Julia Wertz).
Mais c'est surtout sa pratique musicale qui est ici mise en avant avec Boucherie, un CD offert de son groupe de « musique de jeunes » Trotski Nautique (en fait un duo avec au chant et au clavier, en plus de Snug, Alda Lamieva) comportant 19 titres tous de moins de 2min30 (sauf le générique qui dure plus de 5 mn !) dont « More brother rides » une reprise en anglais de Will Oldham, période Palace. Dans ces petites chansons aux mélodies electro-pop simples mais immédiatement entêtantes composées avec juste un synthé et une boîte à rythmes, on retrouve certains des thèmes de l'album comme vivre avec le RSA, la fin du rock, Astérix,... ou les faux écologistes dans « A bas l'humanité », qui est par ailleurs un titre d'un de ces livres (comme « Dépôt de Bilan de compétences », autre chanson du CD).
Mention spéciale pour le dernier morceau au titre alambiqué mais explicite « Générique de fin explicatif de comment on fait pour enregistrer l'album » qui, pendant plus de 5 mn, nous énonce, avec des voix vocodérisés, où, quand, qui, et surtout comment et avec quels logiciels ce CD a été réalisé (et même le générique du générique, morceau composé en collaboration avec L'Ambassadeur du Nord-Cotentin), avec force acronymes expliqués avec humour : le logiciel libre Audacity devenant « un petit extra-terrestre audacieux », le mode Midi « Musique instrumentale digitale interface » « et non pas une heure à laquelle les jeunes ont tendance à se lever »,... sans oublier le superbe mantra final « Merci à Michel Rocard » (pour avoir créé le RMI, ancêtre du RSA, si cher à David Snug !)
blabla
Biographie de David Snug


David Snug, pseudonyme de Guillaume Cardin, est un auteur de Bande dessinée et musicien né en 1975 à Bayeux, la ville de la fameuse Tapisserie, considérée par certains comme un ancêtre de la BD (un signe ?). Adolescent, il passe un Bac Arts appliqués puis s’oriente vers un DEUG Arts plastiques avant de finalement s’inscrire en Licence de cinéma. Peu enthousiaste, il arrête ses études pour entrer dans la vie active en ciblant des activités artistiques.
Ayant adopté le pseudo de David Snug, il partage ses activités professionnelles entre la réalisation de bandes dessinées, de fanzines et de chroniques pour les magazines New Noise et So Film, l'organisation d'expositions et la pratique de la musique au sein du groupe Trotski Nautique (ex-Top Montagne) ou, pendant un temps, Jessica 93.
Quelques questions
à David Snug :

Comme le livre DAC se finit par une vraie-fausse interview sur le rapport de David Snug au numérique et sa pratique en tant qu'auteur de BD, nous ne reviendrons pas sur le sujet mais avons tout de même quelques questions à lui poser...


Pourquoi ce pseudonyme de David Snug ?

C’est parce qu’à mes heures perdues, je suis champion du monde de judo. [Snug veut dire « douillet » en anglais]

Comment est né le projet de DAC ? Etait-ce déjà prévu d'en faire un livre avant le confinement ?

Yep, c’était prévu que je fasse un journal, un peu comme La Vie est trop kurt mais avec des histoires d’une page pour pouvoir alimenter le réseau social afin d’obtenir des likes pour satisfaire mon égo en attendant que le livre sorte. Puis finalement est arrivé le confinement et mon seul ami était Mark Zuckerberg. On a fini par s’engueuler, il est trop libéral ce type. Mais maintenant ça va mieux, on est réconciliés, depuis qu’il est possible de retourner au bistrot boire des ginger beer, on a une relation moins exclusive.

Si j'ai bien compté c'est ton sixième livre avec l'éditeur marseillais Même pas mal, quelle est ta relation avec tes éditeurs qui sont toujours des structures alternatives ?

Les relations sont au beau fixe, on se fait un max de pognon tout en gardant la « street cred' ». Je ne me vois pas aller ailleurs que chez des éditeurs indés, mais en même temps les gros éditeurs ne m’appellent pas non plus pour me publier, c’est dommage, je pense que j’ai les compétences pour reprendre Tintin, un peu comme Jul [le dessinateur, pas le rappeur marseillais] reprend Lucky Luke. Je verrais bien un genre de Tintin au Congo, mais plus encré dans notre époque, avec des petits negros qui seraient livreurs chez Deliveroo et qui ne s’appelleraient pas « boule de neige » pour éviter le racisme. J’espère qu’avec cette réponse à ta question, Casterman va me contacter. Je pourrai ainsi devenir propriétaire et m’acheter une voiture type Lotus.

Tes bandes dessinées sont humoristiques mais délivrent tout de même un message intimement lié à ton mode de vie (vegan, RSA, simplicité volontaire...). Depuis quand et comment as-tu adopté ce mode de vie, tu évoques dans DAC notamment la lecture du livre Travailler, moi ? Jamais ! de Bob Black ?

Travailler, moi ? Jamais !, je l’ai lu très jeune. À l’époque, c’était tellement éloigné de ma vie (je bossais comme ouvrier à la chaîne chez Moulinex) que je croyais que c’était une blague. Et puis c’est resté dans un coin de ma tête et j’ai commencé à réfléchir sur ce truc de travailler pour vivre et de vivre pour travailler.
J’ai décidé d’arrêter de travailler et de vivre de peu, un peu comme Saint François d’Assise, mais faut bien reconnaître que c’est plus facile quand la seule chose qui t’intéresse, c’est de dessiner des petits Mickeys.

Penses-tu que l'humour sert à faire passer un tel message ? Ou bien, cynique invétéré, tu penses qu'on ne s'en sortira pas et qu'il vaut mieux en rire, même si c'est jaune ?

Je ne sais pas si on s’en sortira, mais moi je m’en sors bien mieux en n’ayant pas besoin de me lever le matin pour aller pointer.
J’aime bien l’idée des anarchistes individualistes qui disent à peu près en gros que ce n’est pas la peine d’attendre la révolution qui n’arrivera jamais, et qu’à partir de maintenant il faut vivre selon ses idées.
Mais bon, y a rien a faire, les gens veulent s’acheter des maisons, des voitures et des vacances dans des îles avec des cocotiers. Autant dire qu’on ne s’en sortira pas.

Tu pratiques aussi bien la musique que la BD. Que t'apportent respectivement ces deux modes d'expression ?

Ces deux modes d’expressions me rapportent un bon tas de pognon. Je ne pourrais me passer ni de l’un ni de l’autre, mais je crois que je préférerais être sourd qu’aveugle. Ceci dit je préférerais aussi être aveugle qu’avoir des bras en mousse. J’ai jamais essayé mais ça doit être chiant de dessiner avec des bras en mousse.

Un grand merci à David Snug !



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