CHRONIQUES
Houppeland 15/12/2021
de Didier Tronchet
éd. Dupuis – coll. Aire Libre
Parution dernière édition : déc. 2009 - 152 pages coul.
17 × 24 cm - Prix : 17 €
Dans quelques jours, c'est Noël. La fièvre acheteuse vous gagne ? Pour guérir, lisez donc Houppeland la jouissive fable dystopique anti-Noël de Didier Tronchet parue initialement en 1997-98 dans la collection Aire Libre chez Dupuis !
L'histoire
Dans l’état d’Houppeland, tous les jours c'est Noël ! Tous les jours, s'inviter les uns chez les autres, s'en mettre plein la panse, se faire des cadeaux, (faire semblant de) s'amuser... Tous les jours ! A tel point que c'en est devenu une plaie. Pis, la Brigade des Joyeux drilles, la police politique du régime, procède à des descentes dans les soirées pour vérifier que tout le monde s'amuse en réveillonnant et que les cadeaux sont dignes d'une telle fête. Ainsi, dans la très efficace scène d'ouverture de cette BD, un malheureux convive qui a offert à son voisin de table un chausse-pied en plastique rose se voit embarqué manu militari par les Joyeux drilles.
Il faut dire que c'est une société où un simple éternuement dans un lieu public peut vous envoyer au tribunal (tiens tiens, ça ne vous rappelle rien ?) parce qu'à Noël il faut que ce soit joie, fête, bonne humeur... et « surtout la santé » !
Au départ, à Houppeland, le Noël quotidien avait été instauré pour relancer l'économie : acheter des cadeaux et faire ripaille tous les jours font augmenter la consommation. Mais c'était aussi une lubie du Président de cet état très ambiance IIIè République, un Président qui adore Noël (ainsi que les trains électriques, mais qui déteste le sport).
Une société où tout le monde fait semblant de couler des jours heureux, jusqu'à ce qu'un jour, René Poliveau, un simple anonyme, qui, pour l'amour d'Arlette Champagne, mystérieuse guichetière à la Poste, se retrouve bien malgré lui dans la Résistance, des militants souterrains qui réveillonnent à la biscotte sans sel et aux sardines en boîtes. Dès lors, les jours de ce régime dictatorial de la dinde aux marrons sont comptés...
Une page extraite d'Houppeland par Didier Tronchet
Une page extraite d'Houppeland par Didier Tronchet
Humour
et critique sociale
Même si ce livre ne révolutionne pas les codes de la BD et que le dessin de Tronchet n'est pas son atout premier, c'est au moyen de multiples trouvailles (le réseau de sportifs épistolaires et clandestins, les résistants à la biscotte sans sel et boîtes de sardines, le renversement entre assassin en voiture et président tué au balcon, la désignation du président par la galette,... et le final magistral que nous ne dévoilerons pas ici) avec au passage quelques égratignures à la société bien-pensante (comme les guichetières de la Poste notées par Télérama comme si elles étaient des actrices de TV) qye Didier Tronchet brosse une critique bien plus subtile, mordante et juste que n'importe quel récit à vocation sociale (au hasard, n'importe quel film de Ken Loach). Et en plus c'est drôle !
Inscrit dans une grande épopée qui, bien que parodique, n'en est pas moins passionnante car intégrant tous les passages obligés de ce type de récit, l’intérêt principal de cet ouvrage réside dans son côté gentiment subversif, grâce à un humour qui cache quelque chose de plus mordant et moins inoffensif qu'il n'y paraît, l’auteur opérant juste un léger décalage d'après un postulat très simple, « une société totalitaire où on fêterait Noël tous les jours ».
En effet, qui n'a jamais été dégoûté au moment des fêtes (j'inclus aussi le Nouvel An et la galette) par cette orgie de consommation, de cadeaux, de bouffe, de boisson... ? Bref un immense gaspillage, ce qui est somme toute très significatif de la société de consommation capitaliste moderne.
Une page extraite d'Houppeland par Didier Tronchet

Contre
SOS Bonheur
Paru en 1988, et comme Houppeland dans la collection Aire Libre chez Dupuis, avec Jean Van Hamme au scénario (alors directeur éditorial chez Dupuis et créateur de cette même collection Aire Libre en 1988 qu'il inaugure avec ce tryptique) et l'horrible Griffo au dessin, SOS Bonheur est également un récit dystopique (terme qui pour moi, et aussi dans Le Robert qui le définit ainsi « récit de fiction qui décrit un monde utopique sombre », désigne plus la description d'un projet utopique qui a mal tourné qu'une dictature pure et dure - mais est-ce peut-être la même chose ?). On assiste ici à une critique à peine voilée du système soviétique qui sous couvert d'une société égalitaire reproduit des inégalités avec système de privilèges et corruption à la clé (tout le monde a le droit aux vacances, mais certains en été et d'autres quand il fait moche en hiver par exemple). Une critique qu'on pourrait entendre, si elle ne venait pas du créateur de Largo Winch, le James Bond milliardaire en jeans et baskets.
Les deux premiers tomes de cette trilogie sont une succession de récits courts mettant en scène à chaque fois une thématique spécifique par le biais d'un personnage différent qui disparaît à la fin de chaque récit d'une dizaine de pages et que l'on retrouve tous dans le troisième tome final, alors qu'ils ont rejoint un groupe de résistants héroïques qui vont renverser ce régime d'état-providence. Tout cela n'est pas très subtil !
Et cela en grande partie parce qu'il n'y a aucune forme d'humour. On est dans un sous récit à la Bilal (période Christin, le fantastique en moins). L'humour portant en lui, quelque part, sa propre critique (par une certaine ironie) en fait un argument de poids pour tout récit de critique sociale. Mieux vaut faire rire que faire peur (un peu comme dans une dictature ?) pour faire passer ses idées.
Suite et adaptations
A la base de cette BD, Tronchet évoque un projet de roman, alors que certains disent qu'il s'est inspiré de la BD La Semaine des 7 Noëls qu'Olivier Grojnowski préparait à l'époque et finalement paru chez Casterman en octobre 1999, soit après Houppeland, et il est vrai au thème proche même si l’ambiance y est plus sombre.
Initialement paru en deux tomes en 1997 et 1998 avant d'être repris en intégrale cartonnée en 2003 puis dans son édition actuelle en souple format roman graphique en 2009, Houppeland a connu un prolongement dans les deux tomes composés de courts récits de Welcome Land avec Al Coutelis au dessin sortis en 1998 et 2002 chez Fluide Glacial. Ces deux tomes se déroulent dans un « accueillant » pays voisin d'Houppeland et évoqué à la fin de l'histoire originale, où des navettes volantes viennent le matin vérifier si vous avez fait la vaisselle ou ranger le lait... au risque d'avoir des points en moins ou une balle dans la tête.
Mais ce sont surtout les différents projets d'adaptation sur grand écran qui auraient pu donner une vraie reconnaissance publique à cette histoire géniale.
Dès sa parution, Patrice Leconte réalisateur bien connu mais aussi à ses débuts auteur de BD méconnu dans le Pilote des années 70 (et qui a aidé Tronchet pour son film raté Le Nouveau Jean-Claude en 2002) évoque le fait qu'adapter Houppeland au cinéma pourrait donner un film intéressant. Rebaptisé « Noël au balcon », Didier Tronchet écrit un scénario que Patrice Leconte devait tourner en 2007, avec Dany Boon dans le rôle de René Poliveau (Tronchet vient du Nord aussi...). Pour des raisons financières (une équipe de décorateurs devait tout de même reconstituer une vraie ville d'Houppeland à Prague !), le film ne se tournera pas. Plus tard, le projet devient un film d'animation qui devait être réalisé par Tronchet et Arthur Qwak avec une sortie prévue pour Noël 2017 mais là aussi dont on n'entendra plus parler. Dommage ? Pas si sûr. L'ouvrage de Tronchet, même s'il mériterait une reconnaissance publique beaucoup plus large que lui accorderait une adaptation sur grand écran, se suffit à lui-même tant il regorge déjà de tellement de qualités.

Plus qu'une chose à dire : Joyeux Noël à tous... et surtout la santé !


blabla

Biographie de Didier Tronchet
Né en 1958 à Béthune, après un diplôme de journalisme obtenu à Lille en 1980, Didier Tronchet, de son vrai nom Didier Vasseur, fait ses débuts dans la BD avec Raymond Calbuth en 1984 dans le mensuel Circus des jeunes éditions Glénat. Entre les Français moyens des Bidochons créés en 1977 et l'humour absurde de Daniel Goossens, ce personnage d'aventurier du quotidien a un certain succès.
Tronchet explore ensuite une veine plus noire avec le personnage de Jean-Claude Tergal, looser intégral, créé en 1990 dans Fluide Glacial, et la famille de quart-mondistes des Damnés de la Terre associés à partir de 1987 chez Delcourt (série rebaptisée plus tard Les Poissart), sorte de La Vie est un long fleuve tranquille avant l'heure (le film est sorti en 1988) et chez ce même éditeur, plusieurs petits albums à l'humour grivois La Bite à Urbain en 1990, Sacré Jésus en 1992 et Jésus revient en 1996.
A partir de 1994 et la parution de Quartier évanoui, sur un scénario d'Anne Sibran, sa compagne (qu'il retrouvera avec Là-bas en 2003 l'adaptation en BD d'un des romans de celle-ci) il alterne des ouvrages clairement humoristiques, dont le « chef d'œuvre » jamais égalé Houppeland en 19997-98 chez Dupuis, avec des récits plus réalistes, voire intimistes ou autobiographiques (Vertiges de Quito ou ses BD reportages dans la revue XXI) chez divers éditeurs.
Malgré une réputation houleuse dans le milieu de la BD, il écrit tout de même différents scénarios pour de nombreux dessinateurs : Raoul Fulgurex avec Gelli (dont le tome 1 a reçu le Prix Humour à Angoulême en 1990, prix que Tronchet aura seul en 1993 pour le tome 4 de Raymond Calbuth et en 1996 pour le tome 6 de Jean-Claude Tergal), Olivier Balez, Nicoby,... et avec Fabrice Tarrin pour Violine sa seule série jeunesse à ce jour (qu'il relancera en 2013 dans une version plus adolescente chez Casterman avec un nouveau dessinateur, Baron Brumaire).
En plus de tous ses travaux solo et de ces collaborations, Tronchet a d'autres activités d'écriture : il a écrit et joué pendant un an au Point Virgule un one-man show autour de son personnage de Jean-Claude Tergal en 1999, avant d'écrire et réaliser en 2002 un film Le Nouveau Jean-Claude, une version édulcorée de ce même personnage (qui a donné lieu à une adaptation en BD avec Jean-Louis Tripp au dessin). Il est aussi l'auteur de romans et essais sur des sujets de société divers comme le vélo (Petit traité de vélosophie, 2000), les bébés (Journal intime d'un bébé formidable, 2005) ou la rupture sentimentale (Nous deux moins toi, 2009).
Son dernier ouvrage en date paru en 2020 Le chanteur perdu qui raconte la recherche improbable d'un chanteur oublié, inspiré de Jean-Claude Rémy un obscur chanteur des années 70, le voit retrouver la collection Aire Libre.


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