ENTRETIENS
Benoît Guillaume 21/05/2021
Infatigable voyageur ayant séjourné aussi bien en Asie du Sud-Est qu'autour de la Méditerranée, l'auteur de Bande dessinée Benoît Guillaume a posé ses bagages à Marseille il y a quelques années déjà. Connu pour ses travaux de croquis sur le vif, il vient de faire paraître un passionnant reportage dessiné sur le Mc Do des Quartiers Nord en cours de conversion en restaurant solidaire, L'Après M, pour La Revue dessinée.
Retour sur le parcours d'un amoureux du dessin sous toutes ses formes !



Pour commencer, comment t'es venue l'envie de faire de la Bande dessinée, et du dessin en général ?

J'ai dessiné quand j'étais tout petit et je n'ai jamais arrêté. C'est assez classique !
L'environnement familial a compté, évidemment. Je suis né en 1976 à Tours mais je suis arrivé à Brest à 3 ans. J'ai surtout connu la Bretagne, jusqu'à 18 ans. Nous avions les mêmes BD que tout le monde : les Astérix quand j'étais môme, et quand j'étais ado, vers l'âge de 14 ans, j'ai fouillé dans les collections de mes frères et sœurs aînés et j'ai découvert des trucs un peu bizarres comme des Moebius surréalistes.
Du coup, après ça, j'ai essayé de dessiner comme Moebius, Schuiten et Bilal... à la fois ! C'étaient mes premières influences. Je n'avais pas encore lu les livres de L'Association qui commençaient à sortir.
Ado, j'avais envie de dessiner même si je n'avais pas forcément le rêve de devenir auteur de bande dessinée. Parce qu'en demandant autour de moi, j'avais l'impression que ce qui était réaliste c'était de dessiner pour la pub. Après le Bac, j'ai fait une mise à niveau en art, puis une école d'arts appliqués à Paris, l'EPSAA, avec un peu la même logique, c'est-à-dire même si je rêvais vraiment de faire de l'illustration dans cette école on y faisait un peu de tout, mais c'était tout de même très axé sur le graphisme.
Au bout de 3 ans, j'ai eu une bourse de la mairie de Paris pour faire ma dernière année d'école à la Parsons School à New-York, ce qui était un coup de bol incroyable ! Là-bas, je me suis fait plaisir, je n'avais même pas de diplôme à passer. J'ai essayé de faire un maximum de sérigraphie, ce dont je rêvais depuis longtemps. L'école où j'étais à Paris, c'était une école publique ce qui était un bon point, mais nous n'avions quasiment rien en terme de matériel. Il y avait tout de même une presse de gravure qu'on pouvait utiliser deux heures toutes les deux semaines, des cours d'illustration et des Mac. J'y ai fait aussi de la photo. Mais en arrivant à New York, c'était le jour et la nuit ! Question d'échelle, question de matériel... La ville aussi évidemment ! Même si il n'y a pas grand chose de cette époque que j'aurais envie de ressortir aujourd'hui.

Tu as écrit que quand tu es sorti de l'école tu étais « devenu, un peu par hasard, graphiste pour les sites internet de grandes marques. Personne n'est parfait. »

Pendant cinq ans, effectivement, j'ai travaillé dans trois boîtes différentes de graphisme, et surtout pour le web. Au début j'étais un graphiste exécutant, une petite main. C'est le premier boulot qui m'a été proposé. Et je me suis lancé là-dedans. Franchement, je n'avais pas une grande passion pour tout ça. Je n'étais pas non plus un graphiste très talentueux. J'étais meilleur en illustration. Dès qu'il y avait de l'illustration, j'en faisais !
J'ai fait aussi de l'animation. Je m'y suis mis tout seul parce que je n'en avais quasiment pas fait à l'école.
J'ai d'abord réalisé des petites animations pour moi, que je faisais le soir après le boulot. Je travaillais souvent jusqu'à minuit. J'étais jeune et plein d'énergie ! Et après on m'a demandé des animations en agence.
Mais au bout de 5 ans, j'ai fini par démissionner, et par devenir free-lance. J'ai continué le graphisme un temps, et progressivement j'ai changé d'activité pour me recentrer sur l'illustration et la BD.

Quand je t'ai rencontré, en 2006, tu participais à de nombreux fanzines collectifs. C'était à la même époque ?

Oui, mais je ne sais pas si je participais à tant de revues que ça. En tout cas, j'ai trouvé cette époque géniale. Il y avait beaucoup de fanzines à l'époque, beaucoup d'émulation et d'échanges, avec le monde de la musique notamment. Je dessinais beaucoup dans les concerts. Et ça me semblait assez facile de rencontrer des gens dans ce petit cercle de musiciens et de dessinateurs.
J'ai effectivement commencé à participer à des projets collectifs, ce que je n'avais pas tellement connu avant parce que je n'ai pas fait une école où les étudiants faisaient des fanzines et ce genre de choses. Ça me manquait un peu. Même si je m'en rendais à peine compte, c'est venu a posteriori quand j'ai vu les copains qui sont passés par les Arts déco, qui faisaient tous des fanzines, des collectifs pendant leurs études. Moi ça m'a pris quelques années de plus.
C'est le moment aussi où j'ai sorti mes premières publications, mes premières BD.
Couverture de De la fenêtre le trompe l'œil, premier ouvrage de Benoît Guillaume
Premières BD de fictions

Tu disais que tu dessinais pendant les concerts, moi ce sont les premiers dessins que j'ai vus de toi. On y reviendra avec tes carnets de voyages et autres BD reportages, mais ce que je voudrais que nous abordions en premier, ce sont tes BD de fiction.
Ton premier ouvrage publié s'intitule De la fenêtre le trompe l'œil, paru en 2006 à la Cinquième couche, une petite maison d'édition belge, et qui est malheureusement épuisé !
Ce premier ouvrage est assez étonnant avec un ancrage sur le quotidien mais aussi avec un côté fantastique, qu'on retrouve dans deux autres de tes ouvrages de fiction : Le Fantôme à L'Association, qui sans être intimiste n'est pas du fantastique pur et dur, et une adaptation d'un roman de Marie Ndiaye, La Sorcière.
Pourquoi ce fil conducteur du fantastique dans ces récits de fiction ?

C'est vrai que c'est par là que je suis arrivé à la fiction. C'est ce genre d'histoires qui me motivaient quand j'écrivais. Je n'ai pas écrit énormément d'autres scénarios, même si des choses un peu plus courtes j'en ai écrites un certain nombre qui sont sortis dans des collectifs, et c'était presque toujours un peu fantastique. C'est la façon dont les histoires viennent à moi.
Même dans mes BD documentaires ou mes carnets de voyages, pour sortir des choses trop terre à terre j'utilise un peu des procédés non réalistes. Je me permets de temps en temps des petites embardées pour raconter le réel, avec quelque chose de décalé. Je dis ça mais ce n'est pas vraiment du fantastique.
Par exemple dans Alger-Marseille aller-retour, je décris ma découverte de la ville d'Alger quand j'étais en résidence là-bas. A un moment, je me représente la nuit en train de dormir dans la rue et au matin quelqu'un m'amène à manger alors que j'ai la tête dans le pâté. C'est le genre de choses que je n'aurais jamais faite, de dormir dans la rue à Alger, même pas en France, alors là-bas ce serait encore moins envisageable.
J'invente ce genre des choses pour trouver aussi un intérêt personnel à écrire l'histoire. La réalité brute, elle peut être un peu ennuyeuse. Il faut bien déformer et jouer sur certains leviers pour que ça fasse un livre avec un peu de rythme.

C'est intéressant que tu fasses un parallèle entre ces deux aspects de ton travail.

C'est vrai que comme tu dis dans mes fictions on n'est pas dans du vrai fantastique, comme de l'héroïc fantasy par exemple, et c'est quelque chose qui m'a beaucoup séduit dans le travail de Marie Ndiaye qui joue beaucoup sur cette insertion d'un côté fantastique dans un univers quotidien.

La Sorcière c'est le récit de transmission entre une mère et ses deux filles jumelles qui sont toutes trois des sorcières, autant la mère est plutôt mauvaise autant les filles sont douées.

Et à l'inverse les filles sont mauvaises, au sens de méchantes, alors que la mère ne l'est pas assez pour être une bonne sorcière !

C'était un projet que tu as proposé à Actes sud ou bien une commande ?

C'est moi qui en ai eu l'idée. Je l'ai proposé à Actes Sud et j'ai demandé l'autorisation à Marie Ndiaye de travailler sur son livre. Ensuite j'ai travaillé tout seul. C'était un gros travail.
Ce n'était pas la première fois que j'adaptais un texte puisque juste avant je sortais d'un travail sur un film d'animation adapté d'un texte d'Henri Michaux. Et à chaque fois je me fais avoir de la même façon. Je me dis qu'en partant d'une bonne base ça va être simple, mais en fait... bin non !
C'est même peut-être plus compliqué de partir d'une œuvre, surtout si on la respecte. Godard disait qu'il valait mieux adapter un roman de gare pas terrible car il y a moins de pression. Il y a peut-être plus de libertés et moins de gens qui vont t'attendre au tournant. Parce qu'ils ne connaissent pas l'œuvre originale, ou moins.

C'est tout de même quelque chose que tu as apprécié faire, d'adapter ce texte de Marie Ndiaye ?

Oui mais honnêtement je ne sais pas si je le referai. C'est long et pas si simple !
Depuis, je suis toujours sur des projets de BD en binôme, avec quelqu'un aux textes.
Pour le moment, ce n'est pas que j'évacue cette possibilité, de travailler seul ou à une adaptation, mais juste que les projets s'enchaînent. Du coup je n'ai même pas le temps d'imaginer travailler sur une histoire que je ferais en solo. Peut-être je n'en referai pas et ce ne serait pas grave.
Je me pose même des fois la question si je dois continuer à faire des livres. La bande dessinée c'est long et ingrat, ça ne se vend pas très bien, et peut-être que je suis plus doué dans le croquis. Mais j'apprécie beaucoup de passer de l'un, la Bande dessinée, à l'autre, l'illustration, ces domaines se nourrissent.
Phnom Penh vu par Benoît Guillaume

Couverture de Chuc Suc Khoe, premier récit de voyage de Benoît Guillaume
BD reportage
et carnets de voyages

Si tu veux bien, on peut parler de cet autre aspect de ton travail, la BD reportage et les carnets de voyage où tu arrives à marier croquis et BD. Le deuxième ouvrage que tu as publié en 2010 aux éditions Cambourakis s'intitule Chuc Suc Khoe, ce qui veut dire en vietnamien quelque chose comme « Bonne santé », quand on trinque. C'est un très bel ouvrage, lui aussi malheureusement épuisé !
C'est le récit d'un voyage entre Vietnam, Cambodge et Laos que tu as effectué en 2008. Je trouve que cet enchevêtrement entre croquis dessinés sur place et bandes dessinées réalisées après coup fonctionne très très bien, et à la lecture et visuellement. Est-ce que ce projet est venu avant le voyage ?

Ce voyage-là en l'occurrence c'était mon troisième voyage en Asie du Sud-Est. Ma sœur habitait au Cambodge. J'y suis allé une première fois, en 2003 je crois. C'était mon premier voyage lointain. Ça m'a fait une petite claque. Et puis quelques années après, en 2006, j'y suis retourné pour rejoindre ma sœur qui passait des vacances au Laos. Nous sommes restés une dizaine de jours au Laos, et puis je suis parti tout seul au Vietnam où j'ai énormément dessiné. L'environnement m'a parlé tout de suite.
Quand je suis arrivé à Hanoï, j'avais l'impression d'être dans une maison de fous, sans être péjoratif. Je trouvais cet endroit assez surréaliste, notamment la rue avec une circulation vraiment délirante et qui se mêle à des paysages urbains superbes. J'ai adoré ! Cela m'a beaucoup beaucoup inspiré. Je pense que j'ai énormément progressé en quelques jours de dessins là-bas. Des fois il faut des choses comme ça.
Quand je suis revenu en France, j'ai rencontré Frédéric Cambourakis qui était libraire et qui montait sa maison d'édition. Je lui ai parlé de cette idée que j'avais de faire un carnet de voyages même si j'avais des a priori sur ce type de livres. Mais en même temps j'avais envie de faire quelque chose avec ces dessins.
Frédéric Cambourakis m'a dit que c'était très bien mais qu'il fallait que j'y retourne car il n'y avait pas assez de dessins ! C'est lui aussi qui m'a suggéré d'insérer des passages en BD ce qui n'était pas mon idée première. Je me suis attelé à ce que j'ai pris comme un exercice parce que ce n'était franchement pas évident. Notamment le mariage des deux. Au final je crois que ça fonctionne, même si c'était long à composer ! D'autant plus qu'à cette période j'avais beaucoup de travaux de commande, mon boulot de graphiste et d'illustrateur me prenait beaucoup de temps et je faisais ce livre un peu en pointillés. Ça c'était mon deuxième livre.
"mon principe pour découvrir
un coin c'est de sortir dans la rue
et de dessiner, et c'est aussi comme ça
que je rencontre des gens."
Ensuite j'ai fait quelque chose de beaucoup plus rapide avec Le Fantôme en 2 ou 3 mois, à L'Association, suite à des participations à Lapin où je publiais en épisodes une autre histoire que j'avais composée sur la communauté chinoise de Paris, une fiction un peu étrange comme souvent chez moi qui m'a été inspirée par tous les couples qui viennent se prendre en photo aux Buttes-Chaumont pour leur mariage.
Et puis, celui que j'ai fait sur Alger [Alger-Marseille aller-retour] c'est le premier livre que j'ai dessiné en arrivant à Marseille en 2014 (même si il n'est sorti qu'en 2015). En fait je n'étais même pas arrivé à Marseille qu'on m'a proposé cette résidence, un peu par hasard. C'est drôle parce que j'étais à Paris, le lendemain je débarquais à Marseille officiellement pour m'installer et là un ami auteur de BD, Thomas Azuélos, m'appelle parce qu'on venait de lui proposer cette résidence. C'était drôle parce que c'était en tant qu'auteur marseillais qu'on m'avait invité...
Il y avait un échange de dessinateurs entre Alger et Marseille, avec une dessinatrice Nawel Louerrad qui elle venait d'Alger. Cela s'est chevauché ce qui fait que nous nous sommes tout de même vus ici à Marseille et à Alger aussi. Et tant mieux !

C'était une collaboration avec le MUCEM ?

Oui c'est ça ! C'est un séjour que je suis content d'avoir fait. C'était très chouette et en même temps c'était la solitude, j'étais seul dans ma tour d'ivoire, dans une belle villa à l'esprit colonial, une résidence d'artistes dans un coin un peu isolé de la ville, pas forcément toujours fun. Mais c'est souvent comme ça les résidences, même si il y a plein d'expériences différentes.
Je suis resté un mois et demi en tout. Mais je suis content, il y avait un côté un peu austère dans cette ville et dans cette résidence. En même temps je m'adapte assez bien. Je veux dire même si personne ne s'occupe de moi j'arrive à faire mon truc. Des fois c'est le minimum syndical dans l'organisation des résidences. On a même parfois du mal à trouver un bureau et une lampe. Il y avait un peu des côtés comme ça à Alger mais moi mon principe, pour découvrir un coin, c'est de sortir dans la rue et de dessiner, et c'est aussi comme ça que je rencontre des gens.

Dans Chuc Suc Khoe, il y a des passages où tu dessines et les gamins viennent te voir. Ça ne serait pas une des spécificités, de travailler comme ça avec le dessin pour ce genre de projets, plutôt que de faire de l'audiovisuel ou de l'écriture pure.

Dessiner dehors, avec tout ce que ça implique, souvent c'est vraiment très agréable. Parfois c'est galère et ça ne convient pas à certains dessinateurs qui n'aiment vraiment pas ça parce qu'avoir tout le temps du public qui vient, qui commente, mais bon en Asie c'est souvent une dizaine de gamins qui sont excités autour de toi.
Planche de Chuc Suc Khe

Couverture de Birmanie - Fragments d'une réalité, 
premier récit de Benoît Guillaume et Frédéric Debomy sur la Birmanie
Birmanie

Tu as fait trois livres sur la Birmanie avec Frédéric Debomy, même si lui en a fait de nombreux autres sur le sujet.

Nous avons d'abord fait un projet pour lequel nous avions demandé une bourse à l'Institut français que nous avons obtenue. Nous sommes partis sur place en 2015. Ça a donné lieu à ce premier livre, Fragments d'une réalité.
Il m'a aussi embarqué au même moment sur un autre livre qu'il devait faire avec Sylvain Victor et Olivier Bramanti, dessinateur marseillais qui vit maintenant à Angoulême, avec qui Frédéric avait déjà fait un livre sur le Rwanda, et que j'ai remplacé au pied levé.

C'est Sur le fil, un plus petit ouvrage où Frédéric raconte son expérience en tant que directeur de l'association française Info Birmanie.

C'était pendant les années 2007 et ce qu'on a appelé la révolution safran en Birmanie [manifestations de moines birmans qui ont relayé les problèmes de la population, notamment sur le pouvoir d'achat], bien avant que je ne le rencontre.
Pour le troisième livre, Ang San Suu Kyi, Rohingya et extrémistes bouddhistes paru en 2020 aux éditions Massot, nous sommes retournés sur place en 2018, trois ans après le premier pour faire une sorte de bilan.

Il faut dire que c'est un pays où la situation évolue assez rapidement, même si ce n'est pas toujours dans le bon sens.

Notre premier voyage en 2015 c'est avant les élections qui ont amené au pouvoir la LND, le parti d'Ang San Suu Kyi. Et 3 ans après c'était pour faire le point, un état des lieux deux ans après que la LND ait été élue. Le problème des Rohingyas est passé par là. Ang San Suu Kyi a été décrédibilisée dans une bonne partie du monde à cause de ses déclarations dans lesquelles elle ne prenait pas du tout la défense de cette minorité.

Comment vous êtes-vous rencontrés avec Frédéric ? C'est lui qui t'a proposé ce premier projet parce qu'il était déjà dans cet environnement de militantisme ?

Avant que je le rencontre, j'ai souvenir que j'ai eu connaissance de ce qui se passait en Birmanie avec un de ses livres que j'avais emprunté à la bibliothèque, un livre collectif avec de la BD et du texte, notamment des témoignages, qui était sorti chez Khiasma [Birmanie, la peur est une habitude paru en 2003]. Je me suis rendu compte de l'ampleur de ce sujet. Nous ne nous connaissions pas à l'époque.
Et quelques années après, nous nous sommes rencontrés sur un festival à Clermont-Ferrand, avec Olivier Bramanti.

Et le fait que tu sois déjà allé en Asie du Sud-Est ça a joué pour qu'il te propose ce projet ?

Oui, mais je n'avais jamais vraiment fait de BD reportage à l'époque vu que ce livre était vraiment ma première expérience du genre. Au début, la première chose qu'il m'a proposé c'était un livre jeunesse sur lequel nous avons travaillé un moment, et que nous avons finalement mis de côté. Nous ne l'avons envoyé qu'à un seul éditeur me semble-t-il et il est resté dans les tiroirs. Nous avons enchaîné sur ce projet autour de la Birmanie.
Dans les livres c'est Frédéric qui parle. Le texte n'est jamais de moi. Nous nous mettons en scène et moi je suis un peu le néophyte qui ne connaît rien et qui pose des questions innocentes pour amener la narration. En vrai, j'en connais un peu plus que ça mais par rapport à Frédéric, un vrai spécialiste, je ne connais pas grand chose. J'ai vraiment découvert la situation birmane en passant deux mois sur place, ce qui est assez conséquent.

Ce que j'ai compris grâce à la lecture de vos livres, et aussi grâce aux chronologies que vous insérez en fin d'ouvrages, c'est que la Birmanie est un pays qui a été colonisé par l'Empire britannique au XIXè siècle et, comme souvent dans ces cas-là, à qui on a rajouté d'autres territoires et donc d'autres ethnies et c'est peut-être une des bases des problèmes actuels, avec les « Birmans de souche » qui ont un sentiment nationaliste par rapport aux minorités, dont les Rohingyas à propos desquels vient s'ajouter le problème religieux.

Ça arrive assez souvent effectivement qu'on regroupe au sein d'un pays des régions qui étaient indépendantes avant la colonisation. Mais j'avoue que je ne connais pas les frontières pré-colonisation anglaise.
Si moi je dois dire ce qui pose problème, c'est que la junte militaire qui a fait un coup d'état en 1962 exploite le pays car ils ont la main mise sur toutes les richesses du pays (le bois, le gaz et le pétrole, la drogue et peut-être les pierres précieuses). Ils font du business comme c'est souvent le cas dans ce genre de dictature. Et ils le font avec les pires moyens du monde.
Un journaliste, dans une interview récente, disait que la junte birmane ils étaient peut-être les derniers héritiers de l'armée impériale japonaise. Parce que le Japon a colonisé la Birmanie pendant la Guerre et l'a libéré du joug britannique. Même si l'indépendance effective n'a eu lieu qu'en 1948. Les Japonais ont laissé quelques traces, ils étaient bien durs. La junte birmane est l'une des pires au monde.

Et toi quand tu y es allé, deux fois en tout, tu as ressenti cette violence ?

En fait, quand on y va en tant que visiteur, si on ne veut rien voir, on ne voit rien de spécial. Tu vois un peu plus de militaires, et encore... J'ai vu peut-être plus de militaires en Egypte. En Birmanie, pas tant que ça. C'est assez caché, même si c'est quelque chose d'assez documenté.
Je me rappelle qu'il y avait tout un débat pour savoir si il fallait faire du tourisme en Birmanie. Il y avait plein de gens qui faisaient du tourisme depuis quelques années, mais est-ce que c'était bien d'y aller ou pas, parce que tu finances ce régime ?

Il y a aussi l'affaire avec Total, c'est plus dans Sur le fil où vous en parlez.

C'est une autre question. En tout cas c'est un peu ça qui a interpellé Frédéric au début, l'implication de la France là-dedans, Total notamment. C'est ça qui a fait qu'il est monté au créneau parce que l'ONG dont il s'occupait, Info Birmanie, était uniquement basée en France. Il n'y avait pas d'antenne en Birmanie, ni non plus à l'étranger.

Dans Sur le fil, il y a un passage illustré par Sylvain Victor où on voit Total, accusé de servir le régime birman, menacer de s'installer au Luxembourg. C'est proprement hallucinant !

Et pas si étonnant que ça, malheureusement. C'est un peu toujours le cas avec ces grands groupes. Surtout qu'on l'a vu avec les événements récents, Total ne s'est pas vraiment amélioré à ce sujet. Ils n'ont pas dénoncé ce nouvel état militaire.

Nous pouvons peut-être rappeler les derniers événements en Birmanie. Moi, ce que j'ai compris c'est qu'il y a eu l'arrestation d'Aung San Suu Kyi au 1er février 2021, qui jusqu'à présent était Première ministre mais toujours avec l'armée très présente.

En fait, officiellement, l'armée a 25% du Parlement, et ils tirent les manettes par derrière. On ne sait pas le fond de la pensée d'Aung San Suu Kyi, ce qu'elle pense des Rohingyas, si elle est raciste, comme une grande partie des Birmans envers les Rohingyas.
Ma conviction, c'est qu'Aung San Suu Kyi elle n'était certainement pas libre de grand chose au pouvoir. Pour moi on l'avait accepté là mais les militaires n'allaient certainement pas renoncé à tout ce qu'ils avaient, toutes leurs richesses, leur business,...

Ce que vous dites dans vos BD, c'est que les militaires lâchent un peu de lest surtout pour la communauté internationale, pour éviter des sanctions, pour favoriser le commerce et qu'effectivement ils donnent des petits messages, en faisant croire à une ouverture à la démocratie.

Effectivement, c'est un peu une façade qui leur a ouvert du business et qui a amélioré leur image, mais pas très longtemps. Parce que finalement le naturel revient assez vite.
En fait, ce qui a déclenché les derniers événements ce sont les dernières élections de fin 2020 que la LND a encore gagné et que les militaires ont contesté. Les militaires se sont dit ça suffit alors que la LND n'était franchement pas emmerdant.

C'est un peu ce que vous racontez dans le dernier ouvrage où vous faites le bilan de ces premières années de la LND au pouvoir.

C'est assez triste ! C'est tellement toujours pareil dans tous les pays. Il y a une révolution, et là ce n'était même pas une révolution, mais dans les pays où il y a une révolution, ça devient pire qu'avant !
Même s'il y a eu de nettes améliorations en Birmanie, par rapport aux années précédentes. A partir de 2011 surtout, où il y a eu une petite ouverture, et quand même des choses qui ont changé concrètement.

Mais dans le dernier ouvrage, par exemple, certaines personnes que vous interrogez parlent presque d'une régression depuis 2015 par rapport à avant, en disant qu'ils n'ont aucune relation avec le nouveau gouvernement de la LND.

Les Birmans sont très sévères avec la LND qui était pourtant le parti de la démocratie.
Moi, mon opinion, c'était que la LND n'avait pas les mains libres, mais certainement il y a plein de trucs pas très clairs qui se cumulaient. Et ils n'avaient pas non plus vraiment d'expérience du pouvoir.
Ici à Marseille, il y a la Gauche qui vient d'arriver mais pour le moment, ils sont toujours en train de débroussailler, c'est-à-dire qu'ils sont en train de régler les problèmes non réglés d'avant. Ils n'ont pas encore pu se mettre dans des nouveaux projets, dans des actions très concrètes. Et après quelle marge de manœuvre ils vont avoir ? C'est compliqué toutes ces questions.

Couverture de Aung San Suu Kyi, Rohingya et extrémistes boudhistes 
de Frédéric Debomy et Benoît Guillaume
Planche sur Aung San Suu Kyi


blabla
Méthode
de travail

Je voudrais qu'on aborde les spécificités de ton travail dans cette veine de la BD reportage. Qu'est-ce qui t'intéresse dans cet aspect et qu'est-ce que tu penses que la BD peut amener de plus par rapport par exemple à l'audiovisuel ou l'écrit journalistique ?

Finalement, on est presque sur les mêmes méthodes de travail qu'un journaliste. Certes, on n'a pas le son, on ne fait pas de montage mais finalement on peut jouer sur des témoignages de personnes, comme on peut partir sur quelque chose de plus poétique si on veut. Pour moi, les différents médias sont complémentaires. Ça ne va pas toucher forcément les mêmes personnes, et plus il y a de choses et plus l'information va circuler !
Depuis l'année dernière, je travaille sur un Centre de rétention à Marseille avec Olivier Bertrand, un journaliste marseillais, pour Mediapart. Auparavant j'ai réalisé les illustrations pour un article qu'il a écrit dans la revue XXI, sur un centre de santé avec des médecins un peu alternatifs dans leur façon de travailler qui sont installés dans la Cité Kallisté, une cité des quartiers Nord.
Dans ces deux cas de figure, Olivier le journaliste part de l'écrit tout en développant aussi en parallèle un film documentaire. Celui sur le centre de santé qu'il est en train de terminer s'appellera « Château en santé ». Pour le Centre de rétention, il n'y a pas encore de titre pour le film qui se fera en plus du projet de BD.
Sur le Centre de rétention, nous avons fait une série d'articles pour lesquels nous avons rencontré des Afghans, des Marocains, des Algériens,... qui sont passés par le Centre à Marseille. Nous avons parlé du Centre de rétention au présent, mais dans le dernier article pour Mediapart nous avons parlé de l'historique des Centres de rétention. Avant que les Centres de rétention soient quelque chose d'officiel, il y a eu un Centre de rétention clandestin, sur le Port de Marseille, à Arenc, dans un hangar pendant plusieurs années, 5 ou 6 ans tout de même.
Le Centre de rétention c'est là où on garde temporairement les migrants qui sont censés être rapatriés dans leurs pays. Dans les faits, ils ne sont pas tous rapatriés mais dans tous les cas ils sont enfermés pendant un temps dans ces centres. Une partie était renvoyée chez eux et une autre relâchée dans la nature.
Ce journaliste a écrit l'histoire de ces Centres de rétention qui est tout de même une histoire un peu dingue et c'est là-dessus que nous allons faire une BD, qu'il développe aussi en film documentaire. Pour la BD nous ne savons pas encore si nous allons la faire sous la forme d'un documentaire ou si cela sera une fiction. En tout cas, les choses se complètent.
Quand j'accompagne un journaliste, je prends des photos, je peux enregistrer les témoignages, je dessine, je fais des croquis,... C'est un peu les mêmes méthodes que quelqu'un qui ne ferait qu'écrire ou qui ferait un film. D'ailleurs il y a des auteurs de BD qui font de la fiction mais qui utilisent des acteurs. Il n'y en a pas beaucoup parce que c'est un gros travail supplémentaire mais qui après peut te faciliter la tâche...
Comme l'autrice israélienne Rutu Modan qui s'appuie sur un travail photographique sans pour autant être hyper-réaliste parce qu'elle réinterprète complètement les photos avec sa propre sensibilité graphique. Elle réalise un tournage, ou un shooting, on appelle ça comme on veut. Son dernier livre Tunnels est génial ! Graphiquement il faut un peu de temps pour s'y habituer. Les personnages ne sont pas hyper séduisants au premier abord, ils ont des visages assez cartoonesques, mais ça fonctionne vraiment bien. Elle raconte les choses comme peu de monde en BD ; elle e a un vrai langage bien à elle.


Mc Do et
La Revue dessinée

A propos des BD sur Marseille, tu viens de finir pour La Revue dessinée une BD sur un Mc Do des Quartiers Nord de Marseille. C'est avec un autre journaliste ?

Oui, il s'appelle Julien Brygo. J'avais déjà illustré un article avec lui pour CQFD, journal basé à Marseille. Julien a vécu à Marseile mais maintenant il est retourné dans le Nord. Il avait déjà travaillé sur ce Mc Do, écrit des articles, fait un film pour internet sur Le Média à l'époque où le restaurant était encore ouvert. Cela racontait la lutte syndicale des salariés pour obtenir des droits, et les énormes pressions que les employés et délégués syndicaux recevaient. La Revue dessinée nous a proposé à tous les deux de faire ce reportage sur la nouvelle phase de ce Mc Do qui est devenu l'Après M, un restaurant associatif.
Avec Julien, nous ne nous sommes rencontrés qu'une seule fois, sur Marseille, même si ce n'était même pas la visite du Mc Do la plus consistante parce que nous n'avons pas pu rencontrer beaucoup de monde ce jour-là.

C'était déjà après la fermeture officielle ?

Oui c'était l'été dernier en juillet 2020. Moi j'ai pu y retourner plusieurs fois. Du coup j'ai fait un peu un travail de journaliste. Ce qui n'est pas mon job premier. Je n'ai pas forcément les réflexes pour aller vers les gens et leur tendre un micro et les interviewer. Ma méthode consiste plus à dessiner et laisser venir. Ou alors m'asseoir à côté des personnes qui expliquent leur situation et dessiner ou prendre des notes. C'est ma façon de faire et je crois que ça fonctionne plutôt bien.

Personnellement, j'ai beaucoup aimé ce reportage dessiné qui explique très bien les tenants et aboutissants de ce projet de reprise d'un Mc Do fermé. Il est plus didactique que ce que tu as pu faire sur la Birmanie par exemple, j'ai appris de nombreuses choses sur le fonctionnement de la société Mc Donald's, des chiffres qui m'ont fait tomber des nues. Comme le fait qu'ils font 25% de leur chiffre d'affaires mondial en France ! Et la lutte syndicale de ce Mc Do est plus qu'intéressante.

Honnêtement, nous avions une marge de manœuvre limitée. Nous avions énormément de choses à faire passer sur 30 pages, ce qui est un peu le maximum dans La Revue dessinée. Nous avions tellement d'infos que je ne peux pas imaginer beaucoup de choses en terme de mise en scène. Il n'y avait pas la place !

Vous ne vous mettez pas en scène ni l'un ni l'autre... comme vous le faites avec Frédéric dans les livres sur la Birmanie.

Ça aurait pu mais là nous avions trop de choses à dire. Malgré tout, je trouve que l'histoire de ce Mc Do passe bien. Pourquoi ? Je ne sais pas... Peut-être parce que l'histoire est intéressante en fait ! Moi je suis ravi d'avoir rencontré ces gens qui ont une telle énergie et qui sont accueillants. Ca peut paraître un peu naïf dit comme ça mais ce sont vraiment de chouettes personnes. Ils ont la niaque. Il y a aussi beaucoup de nouveaux. Avant la fermeture du restaurant et sa nouvelle phase avec l'Après M, il y a toujours eu des luttes sociales et de grosses pressions sur les salariés ce qui a fait qu'il y en a beaucoup qui sont partis.

De ce que vous racontez, à l'époque du Mc Do, c'était déjà un lieu de vie dans ce quartier, un des plus pauvres de France.

En tout cas c'est mis en avant dans les articles que j'ai lus et dans le nôtre aussi, c'était un des seuls lieux de vie sociale dans ce coin des Quartiers Nord. Il y a très peu d'espaces pensés pour le public. Ca ne veut pas dire pour autant que les gens ne se voient pas dans les Quartiers Nord.
Ils viennent de fêter le premier anniversaire de l'Après M, lancé pendant le premier confinement en mars 2020, avec dans l'idée de faire un restaurant solidaire ouvert à tous.
Mais ils ne sont pas encore propriétaires du lieu. Ils incitent la nouvelle mairie à acheter le local et de le leur louer pour un loyer symbolique. Sinon ils devraient racheter à Mc Donald's France. Mais l'Après M n'aura jamais les moyens de racheter à Mc Do. Ils risquent de partir ailleurs si ils ne trouvent pas une solution, ce qui serait dommage. Ils aimeraient vraiment rester dans cet endroit que tout le monde connaît et qui est symbolique. Ce sont des quartiers qui sont tellement délaissés que ce groupement de personnes qui sont rejoints par d'autres associations sont plein d'initiatives à tous les niveaux : il y a l'urgence alimentaire et solidaire, mais aussi l'organisation de vacances pour les enfants, s'occuper de l'éducation des jeunes, la réinsertion de ceux qui partent en vrille et qui passent par la case prison. C'est un vrai projet social ! C'est très bien qu'il y ait ça dans les Quartiers Nord.
Page extraite du Resto du coeur dans La Revue dessinée n°32


Projets

Tu veux bien nous parler de tes projets à venir ?

Là je travaille sur une autre BD de reportage, toujours pour La Revue dessinée, sur le mal-logement et les délogés à Marseille avec la journaliste Feriel Alouti. Il y aura une vingtaine de pages. Pour le moment, nous avons eu un rendez-vous avec un des responsables de l'association du 5 novembre, un des délogés qui habitait au 67 de la rue d'Aubagne, c'est-à-dire l'immeuble juste au-dessus du 63 et 65 qui sont les deux immeubles qui se sont écroulés en 2018. Le 67 a été à moitié démoli. Lui, il a été expulsé, il fait partie des rares expulsés qui ont réussi à obtenir des droits. C'est un de ces militants hyper-actifs qui nous a impressionnés sur la somme de connaissances qu'il a accumulée sur le sujet. Il faut dire qu'il travaille comme ingénieur thermique dans le bâtiment, il suit les choses de manière très précise. Il a sur son ordinateur des tableurs Excel avec tous les immeubles qui ont été en état d'insalubrité, sur toute la ville, et il y en a beaucoup !
Depuis, je suis allé deux fois à la Fondation Abbé Pierre qui propose une permanence, SOS Taudis, pour aider les personnes en état de précarité, en gros contre les marchands de sommeil. C'est assez plombant ! Et ça peut rendre vite parano, surtout que je viens d'acheter un appartement à Marseille.
En ce moment à Marseille, même si ça a été enclenché par la précédente municipalité, le gros truc c'est de faire les ravalements de façade. C'est symbolique ! Alors qu'à l'intérieur, les immeubles ne sont pas forcément en très bon état. En plus ça coûte très cher aux propriétaires.

Dans mes futurs projets, j'ai aussi une BD en cours, une fiction avec Thomas Gosselin au scénario, avec comme souvent chez lui des histoires dans l'histoire. Pour ce projet, c'est presque la première fois que je demandais à quelqu'un de m'écrire un scénario. Il m'a proposé un récit inspiré d'une histoire vraie sur des singes du zoo de Vincennes, à Paris.
En ce moment, je suis sur plein d'autres projets, mais malheureusement pas sur cette BD. Nous avons réalisé le découpage après que Thomas ait retravaillé le scénario parce qu'il y avait des passages qui me semblaient un peu trop compliqués. J'ai fait deux ou trois versions des premières planches finalisées. Graphiquement, j'ai envie de continuer à faire des recherches car à mon avis je n'y suis pas encore, ça ressemble trop à ce que j'ai fait avant, un peu la même technique que pour La Sorcière par exemple. Au début je voulais faire du noir et blanc ensuite je suis plutôt passé à faire de la couleur.

Donc ce n'est pas pour tout de suite a priori ?

Je vais peut-être m'y mettre bientôt. Le problème c'est qu'il y a toujours des commandes qui arrivent et, même si Atrabile est partant pour l'éditer, cette BD c'est un boulot quasiment gratuit, parce qu'il n'y a pas vraiment d'argent à la clé, c'est un peu déprimant mais c'est ainsi. Ce qui fait que les commandes passent avant...
En plus Thomas m'a proposé une BD érotique à faire pour un collectif. Je ne sais pas ce que je vais faire, mais c'est un bon exercice. Je n'ai jamais rien fait qui touche à ça...

Et ta collaboration avec l'ensemble musical les Cris de Paris que tu as suivi pendant leurs répétitions pour un spectacle [lien vers la captation sur Arte], tu vas en faire une BD ? Non ce sera un carnet, un journal dessiné. C'est quasiment bouclé. Ce sera directement édité par Les Cris de Paris.

J'ai vu le générique de la captation sur Arte avec de superbes dessins tout en couleurs.

Je les ai suivis. J'ai fait aussi des croquis au fur et à mesure qui sont aussi au crayon. Quand tout va très vite et que je veux être précis je travaille avec le crayon.
Ceux du générique, qui sont plus léchés et en couleurs, je les ai faits après coup, dont deux ou trois exprès.

Image extraite d'Encore des changements
Le dessin animé
Il y a 10-15 ans je faisais beaucoup de dessin animé. J'ai fait des films en partant de choses très simples jusqu'à des projets beaucoup plus complexes. Comme le film Encore des changements que j'ai co-réalisé avec Barbara Maleville, ma compagne de l'époque, et qui est une adaptation d'un texte d'Henri Michaux. C'était un projet assez complexe techniquement parce que c'est un mélange de prises de vues, d'after effects et de peintures sur photo. Mais aussi sur le fond parce que nous avions comme postulat d'avoir le texte intégral en voix off, et le texte est assez étrange et pas si simple à suivre ! Donc il y a une narration qui joue sur plusieurs niveaux et qui n'est pas forcément évidente à la première vision. C'est un film qui mérite qu'on le voit plusieurs fois. C'est certainement le film le plus ambitieux que j'ai réalisé.
Après ce film-là j'ai laissé de côté l'animation presque totalement pendant très longtemps, jusqu'à l'année dernière où David Fenech, un ami musicien, m'a proposé de faire un clip pour un de ses nouveaux morceaux, « Pocarina », extrait du disque qu'il venait de faire avec Klimperei, Rainbow de nuit [lien vers la vidéo]. J'ai essayé de faire simple. C'est un morceau plutôt court d'1mn40 ce qui m'allait très bien parce qu'en animation même 1mn40 ça ne se fait pas tout seul. Là j'ai travaillé un peu plus numérique que je ne le faisais avant. C'est animé sur After effects même si je pars de mes dessins.
Avant, pour un clip comme « Cheveu dangereux », le premier clip que j'avais fait pour David Fenech, c'était dessiné au crayon, très simple graphiquement. Je dessine 8 ou 12 images par seconde, ce qui représente tout de même pas mal de dessins.
Pour ce nouveau clip, c'est animé différemment. Des années ont passé et je n'avais pas envie de refaire la même technique. Je pourrais refaire de l'animation, même des choses un peu plus longues que ces clips. Mais pour l'instant il n'y a rien de prévu.
Image extraite du clip de Pocarina


Auto-édition et engagement syndical

Tu as aussi récemment édité plusieurs ouvrages. Pourquoi t'intéresses-tu toujours à l'auto-édition ?

Il y a 15 ans, j'avais commencé comme beaucoup de monde à faire des fanzines, mais un peu tout seul, à part quelques projets collectifs. A partir du moment où j'ai été édité en 2006, j'ai trouvé ça très confortable que les gens impriment et distribuent les livres pour moi.
Jusqu'en 2013, juste avant d'arriver à Marseille, j'ai passé 6 mois à Montréal, où un des auteurs de l'atelier de BD où j'étais, Vincent Giard, m'a suggéré que nous fassions ensemble un livre à partir de mes croquis.
Une fois revenu en France je l'ai réédité moi-même, et ensuite j'ai fait presqu'un livre par an en auto-édition.
Et l'année dernière en plus de mon livre de l'année d'après des dessins réalisés au Japon, j'ai édité pour la première fois une amie, l'illustratrice Géraldine Alibeu, et ces dessins de montagnes sur lesquels j'ai flashé tout de suite, comme beaucoup de monde à mon avis.

Et pourquoi cette envie de s'auto-éditer?

Je n'ai pas de raisons objectives. Pour les dessins de Géraldine, j'avais envie que ce livre existe.
En vrai, ce n'est pas si facile de « vendre » des projets comme ça à des éditeurs. Ils te disent souvent que ça ne se vend pas beaucoup. Il n'y a pas beaucoup d'éditeurs qui font des livres d'images pour adultes, donc il y a plus de facilités à faire les choses soi-même. Et comme j'ai une formation de graphiste, je sais à peu près tout faire dans la chaîne graphique. Et aussi, c'est assez satisfaisant de tout maîtriser.
Après il y a le côté ingrat de tout gérer, de faire des récapitulatifs des ventes, ou aller à la Poste... pour ne pas gagner grand chose au final. Je me rembourse, je ne perds pas d'argent, mais c'est une façon de montrer mon travail. De temps en temps, quelqu'un me dit que je devrais aller voir tel éditeur qui fait des livres d'art et essayer de faire un livre avec lui. Si je faisais ça, je pense que j'aurais encore moins d'argent que ce que je fais avec mon auto-édition et ça ne toucherait pas le même public.
Là j'ai l'impression que je touche un public un peu plus directement et les gens apprécient aussi le côté démocratique de ces objets, par rapport à un livre de 300 pages qui coûterait 40 €, au moins.
Avant j'imprimais à Barcelone, là où travaillait Damien/Estocafich des éditions Misma, mais l'année dernière j'ai changé et imprimé à Marseille, chez CCI... et tant mieux ! C'est plus simple, ça a plus de sens. Et c'est très bien imprimé !
Normalement, j'en fait environ un par an. Cette année je ne sais pas si j'en ferai. C'est une question de temps...

Et ça s'inscrit dans le cadre de Mineolux, structure que tu as montée avec tes collègues d'ateliers ?

Oui, même si je fais une collection un peu à part que j'ai nommée «Voleur». Mineolux c'est une association que nous avons créée avec Renaud Perrin, sa compagne Catherine Chardonnay et Nathalie Desforges.
Via cette association nous faisons différentes choses, de l'édition mais aussi parfois des événements comme des ateliers, des spectacles,...
Image extraite des Montagnes vivantes, ouvrage de Géralidne Alibeu


Et l'association Le Trait, tu peux nous en dire quelques mots ?

C'est un collectif d'artistes-auteur.ices, travaillant surtout dans le monde de l'édition, dans la région PACA.
Nous essayons de nous ouvrir et de nous adresser à un peu tout le monde, mais c'est tout de même venu des auteurs-illustrateurs. En fait, nous sommes partis du constat que maintenant tout le monde a le même statut et est à l'URSAFF, alors qu'avant nous étions soit la Maison des artistes soit à l'AGESSA.
En l'occurrence, nous avons tous les mêmes droits, ou pas de droits ça dépend de comment on voit les choses. Donc nous avons l'impression de parler aussi pour les graphistes, les photographes, les poètes, les peintres...

Mais l'idée, c'est de faire un syndicat ?

Je n'ai jamais regardé les règles d'un syndicat et je ne sais pas si nous ferons ça un jour. Mais nous sommes dans une optique de défendre nos droits, juridiquement. Un peu comme la Ligue des auteurs professionnels, un regroupement national avec des têtes d'affiche, comme Joann Sfar ou Samantha Bailly, une romancière jeunesse qui était leur porte-parole et qui participait avant à la Charte des auteurs et illustrateurs jeunesse.
En seulement quelques années, la Ligue des auteurs pro a réussi à se faire connaître et avoir des positions assez virulentes. Par contre, le revers de la médaille c'est qu'ils sont plutôt écartés des discussions avec le gouvernement qui continuent à parlementer avec le Syndicat National de l'Edition, ceux qui étaient là avant et où les auteurs ne sont pas toujours bien représentés.

C'est venu à la suite du confinement ?

Non c'était déjà là avant. Nous avions déjà entamé cette démarche il y a 4 ans, mais c'était un peu retombé parce que nous étions tous passés à d'autres projets. C'est vrai que nous avons repris cette problématique au moment du confinement, parce que nous avions du temps, que nous étions isolés, et que cela nous faisait une raison pour nous voir, d'abord à trois, avec l'autrice Ramona Badescu et l'illustrateur Renaud Perrin. Nous avons écrit une première tribune que nous avons envoyée à l'Agence Régionale du Livre à Aix et à un réseau de professionnels et quelques politiques aussi (la DRAC, d'autres personnes à la région) pour parler de la situation précise du confinement où toutes les commandes s'étaient arrêtées.

Il faut dire que les auteurs n'ont pas d'assurance chômage comme les salariés classiques ou les intermittents du spectacle.

C'est ça ! Honnêtement, l'année dernière n'a pas été si mauvaise pour tout le monde.
En 2020, il y a tout de même eu des processus d'aides, certains - dont je fais partie – ne s'en sont pas trop mal tirés, mais pour ceux qui venaient tout juste de commencer à travailler dans le milieu, c'est autre chose ! En tous les cas, il y a des tonnes de choses à défendre, même si la partie est loin d'être gagnée.
Je crois que c'est important d'être aussi sur des actions un peu plus concrètes, autres que juste le partage de l'info, comme l'organisation d'événements, la mutualisation de matériel,... parce que si nous ne sommes que dans l'optique d'obtenir des droits, ça va vite être fatigant et désespérant. Souvent c'est beaucoup d'énergie et pas énormément de victoires, mais bon il faut essayer !
Nous avons l'espoir d'obtenir une bourse de création dans la Région PACA, dispositif qui n'existe pas encore alors que la majorité des régions en France, mis à part deux ou trois, proposent des bourses à des artistes, toutes disciplines confondues. Dans le PACA il y a des résidences mais ce n'est pas la même chose, parce qu'il y a toujours un temps dévoué à la médiation et à des ateliers qui occupe de façon réglementaire 30 % du temps mais concrètement ça représente plutôt 50% du temps (voire plus) puisqu'il faut le temps de préparer tout ça. [lien vers le site du Trait]

Image extraite d'Encore des changements
Le Port
a jauni

Tu as fait quatre livres illustrés, dont deux sur des textes de Ramona Badescu, notamment Bus 83, avec Le Port a jauni, une maison d'édition marseillaise qui fête ses 20 ans cette année.

Le dernier s'intitule Terrains vagues sur des textes de Géraldine Hérédia et vient à peine de sortir !

La particularité de cette maison d'édition est de proposer des livres bilingues franco-arabes. Ce ne sont pas vraiment des livres jeunesse, mais plutôt des textes illustrés.

Nous nous étions déjà croisés avec Mathilde Chèvre, car c'est la compagne du dessinateur Thomas Azuélos. Maintenant c'est devenu mon éditrice la plus régulière. J'y ai déjà fait quatre livres, j'en ai un troisième avec Ramona en cours sur l'Egypte, ça en fera 5.
Je suis vraiment très content d'avoir entamé cette collaboration car, même si ce sont des livres qui peuvent paraître modestes par le nombre de pages, ils sont aussi importants que les autres et parfois ils peuvent aussi avoir d'autres ramifications.
Un livre comme Par hasard, le premier que j'ai fait avec Ramona, nous le faisons vivre une deuxième fois avec des lectures dessinées accompagnées par un musicien. Nous l'avons déjà fait un certain nombre de fois. Et nous continuons cette année, comme cet été dans la Drôme par exemple. Je dessine en direct, Ramona lit les textes, et nous sommes avec un musicien. Nous sommes sur ces trois médias et nous partons des textes et des images du livre, mais aussi parfois des textes qui n'ont pas trouvé leur place dans le livre. Tout est écrit et préparé, même si il y a toujours quelque chose de l'ordre de l'impro quand je dessine.
Il y a une captation sur mon site, même si ce ne sont que des extraits [lien vers le site de Benoît Guillaume].


Marseille

Pour finir, peux-tu nous dire pourquoi es-tu venu à Marseille ?

Avant de m'y installer, j'y passais de temps en temps. Des fois, pendant juste quelques jours durant lesquels avec des amis dessinateurs, un ou deux marseillais et d'autres venus d'ailleurs, nous organisions des résidences informelles entre nous. J'ai aussi mon frère qui habite à Marseille.
J'avais un peu pris le goût du voyage avec mes visites en Asie et c'est vrai que Marseille me rappelait un petit peu de cette ambiance que je pouvais trouver à l'étranger.
En même temps, c'est un discours qui commence à être un peu connu, le Marseille multi-culturel, mais honnêtement c'est cet aspect-là qui m'a séduit à Marseille et parfois, quand je vais ailleurs, je peux trouver ça un peu aseptisé. Même si ces derniers temps je trouve ça assez reposant d'aller ailleurs parce que Marseille est fatigante aussi. Les gens me le disaient quand je suis arrivé et, après quelques années, je commence à le sentir. J'y suis bien malgré tout. Je ne me vois pas bouger. Je suis parti pour rester.

Quand on regarde sur ton site, on voit que tu as fait énormément de projets autour de la ville : des collaborations avec le Bureau des Guides, des ateliers, tu as suivi des élèves des Quartiers Nord au Parlement Européen de Strasbourg, des comptes rendus de soirées et projections à La Friche Belle de Mai,...

Des trois villes où j'ai habitées et travaillées, Paris, Valence et puis Marseille, c'est à Marseille que les contacts et les relations se sont noués le plus facilement.
Evidemment, j'étais tout jeune et illustrateur débutant quand j'étais à Paris. A Valence c'était une plus petite ville où il n'y avait forcément pas la même émulation. Il y a donc une certaine logique. Mais pour moi, Marseille c'est tout de même un endroit très ouvert, on va assez vite à la rencontre d'artistes ou d'autres structures, que ce soit dans l'éducation ou dans les institutions culturelles. Pour moi c'est une richesse !
Mais oui bien sûr j'ai un peu aussi déclenché toutes ces collaborations, notamment par mon travail de croquis qui est tout de même beaucoup lié à ça. Le travail de croquis que je fais, que ce soit dans la rue, du dessin du quotidien, ou du dessin un peu plus politique, comme des dessins de manifs, ou quand j'accompagne le Bureau des Guides, tout ça je le montre et ça déclenche d'autres projets et collaborations.

Tu as quelque chose à rajouter sur Marseille ?

Je crois que beaucoup de choses ont été dites et redites sur cette ville ! Mais je pense que j'ai encore beaucoup à dessiner. A Marseille, je pourrais me poser dans la rue et dessiner tous les jours.

Un grand merci à Benoît Guillaume pour sa gentillesse, sa patience et sa disponibilité !

Bibliographie
BANDES DESSINEES


De la fenêtre le trompe l'œil,
Éd. Cinquième couche, 2006


Chuc Suc Khoé,
Éd. Cambourakis, 2010


Le Fantôme,
Éd. L'Association, 2011


Alger-Marseille,
avec Nawel Louerrad,
Éd. Cambourakis/MUCEM, 2015


Birmanie - Fragments d'une réalité,
avec Frédéric Debomy,
Éd. Cambourakis, 2016


Sur le fil,
avec Frédéric Debomy et Sylvain Victor,
Éd. Cambourakis, 2016


La Sorcière,
d'après Marie Ndiaye,
Éd. Actes Sud BD, 2018


Aung San Suu Kyi, Rohingya et extrémistes boudhistes,
avec Frédéric Debomy,
Éd. Massot, 2020


ILLUSTRATIONS

Roulades,
Éd. Fidèle, 2015


Le Café lui sert de départ,
avec Nathalie Bontemps,
Éd. Le Port a jauni, 2017


Par hasard,
avec Ramona Badescu,
Éd. Le Port a jauni, 2019


Bus 83,
avec Ramona Badescu,
Éd. Le Port a jauni, 2020


Terrains vagues,
avec Géralidne Hérédia,
Éd. Le Port a jauni, 2021


AUTO-EDITIONS

Les Villes sont toutes les mêmes,
éd. Mineolux/Voleur, rééd. 2018


L'Année de la carpe,
éd. Mineolux/Voleur, 2019


Les Collines en ciment,
éd. Mineolux/Voleur, 2020


Panorama BD Marseille
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