ENTRETIENS
Jean-Gabriel Farris,
une vie au service de la Bande dessinée 05/03/2021
Natif de La Ciotat, Jean-Gabriel Farris est un vrai passionné de Bande dessinée, une BD pointue, exigeante, curieuse, parfois confidentielle mais jamais élitiste ! Et cette passion, il a toujours cherché à la transmettre que ce soit en travaillant dans l'édition avec les Requins marteaux qui viennent de fêter leur trentième anniversaire, ou depuis quelques années déjà dans la librairie marseillaise spécialisée en livres pour la jeunesse et la BD fondée par Guillaume Mouren, Le Poisson-Lune sise boulevard Baille.
Retour sur le parcours d'un passionné !


Portrait de Jean-Gabriel Farris
Parcours personnel

Comment t'es venu ton intérêt pour la BD et le livre illustré ?

Depuis tout petit ! Je suis né et j’ai grandi à La Ciotat. J'ai fait un BEP Hôtellerie pour être cuisinier mais comme travailler 70 heures par semaine ce n'était pas mon idéal, j'ai passé ensuite un BAC STT.
J’étais déjà passionné par la BD, à tel point que j'ai même séché mon bac blanc pour aller à Angoulême me faire dédicacer des Lanfeust! Mais comme il y avait trop d’attente pour les dédicaces de Lanfeust, j’ai préféré aller voir une exposition qui était au programme cette année-là, le « Supermarché Ferraille » des Requins Marteaux, notamment les auteurs Winshluss, Cizo et Fred Felder. Et là, je suis tombé complètement dans une BD moins grand public !
Ça m'a rappelé les quelques numéros de Métal Hurlant qui traînaient à la maison quand j'étais gamin, et que j'ai lus alors que ce n'était pas fait pour les enfants. Quand un gamin lit une BD, les adultes ne se méfient pas. Moi, j'ai lu Rose profond [une BD de Jean-Pierre Dionnet et Michel Pirus, paru en 1989, qui dynamite les codes de la BD jeunesse façon Disney] à 10 ans, et d'autres BD qui n'étaient pas spécialement de mon âge.
Le « Supermarché Ferraille » c'était en 2002, dans un lieu à part avec un vrai faux supermarché. J'avais environ 18 ans. Je suis retourné à Angoulême l'année suivante et là il y avait le « Musée Ferraille », une autre exposition du même collectif. Cette année-là, je suis aussi tombé sur le catalogue de l'exposition « Traits contemporains », qu'avait faite Yassine De Vos en collaboration avec les magasins Leclerc [organisée en 2002]. Je me renseignais sur chaque auteur présent dans le catalogue. C'était devenu ma « mini-bible » !

Tu étais toujours à La Ciotat ?

Oui. Au bout d'un moment j'ai fait une prépa Arts plastiques à Digne-les-Bains, c'est là que j'ai quitté le giron familial pour la première fois. Après ça, je suis parti aux Beaux-Arts à Toulouse. Je pensais bêtement que, comme il y avait à côté, à Albi, les Requins Marteaux qui étaient pour moi le Graal, il y aurait forcément des liens avec l’école, comme des profs auteurs aux Requins Marteaux,… Mais en fait là-bas, personne ne les connaissaient !
Si ce n’est une amie rencontrée aux Beaux-Arts qui était d'Albi, qui connaissait les Requins et qui m'a poussé à y faire un stage. Ça devait être en deuxième année.
Après ce stage, j'ai continué à travailler un peu avec eux : à Angoulême je tenais leur stand pendant le salon,… et surtout, en sortant des Beaux-Arts, j'ai fait un an de bénévolat aux Requins. Je suis devenu très pote, et même colocataire, de Thomas Bernard, qui était un des responsables des Requins à l’époque.

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Les Requins Marteaux

Les Requins Marteaux étaient encore à Albi ?

Quand j'ai fait mon stage oui, mais quand j'y ai travaillé un an ils venaient d'emménager à Bordeaux. Ce déménagement a provoqué un changement d'équipe complet. Fred Felder [un des collaborateurs historiques des Requins Marteaux] était moins présent et c'est Charlotte Miquel [auparavant aux éditions L’Association, entre autres] qui prenait un peu la tête de l'équipe.
Nous avons travaillé un an ensemble, après je suis parti à l'étranger pendant un an et depuis l'étranger nous nous sommes motivés avec Thomas pour monter la campagne électorale de Franky Baloney, alias Fred Felder, pour les élections municipales de Bordeaux de 2014, un projet qui n'a pas été jusqu'à son terme...
Malheureusement, il n'y a plus aucune trace de tout ça : il y avait un site mais les Requins ont oublié de payer l'hébergeur donc il n'y a plus rien ! J'avais notamment animé un clip avec Xavier Bouyssou, qui va bientôt sortir sa première BD d'ailleurs.
À la suite de ça, Charlotte Miquel m'a proposé un mi-temps aux Requins. Mais au bout de 3 mois, l'équipe a encore changé. Fred Felder est parti, Charlotte aussi. C'est Marc Pichelin [scénariste et co-fondateur des Requins Marteaux dans les années 90] et Winshluss qui ont repris l'association, et comme ils n'étaient pas vraiment très impliqués, je me suis retrouvé à être éditeur ! Je leur demandais toujours leur avis mais en gros je faisais ce que je voulais.

Tu as amené des jeunes auteurs que tu connaissais ?

J'ai solidifié des relations avec des auteurs : Antoine Marchalot avait déjà été édité aux Requins mais il n'était pas vraiment content de comment cela se passait.
Je suis aussi allé chercher des traductions de Benjamin Marra, et des auteurs que j'avais découvert dans la revue Collection [revue d’entretiens avec des artistes souvent confidentiels parue initialement aux regrettées éditions En Marge].
J'ai aussi ramené des amis des Beaux-Arts comme Chloé Munich et Vincent Lallane, deux vidéastes qui nous ont fait de supers teasers pour les sorties de bouquins, et Xavier Bouyssou dont je parlais tout à l'heure, un auteur génial dont on va bientôt entendre parler.
Je voulais que cela devienne une passerelle entre le fanzinat et la BD un peu plus grand public, en allant aussi chercher des auteurs dans les festivals, notamment au festival parisien « Fanzines » où je bossais aussi un peu en tant que bénévole.
Je pense avoir amené aux Requins une nouvelle génération d’auteurs, notamment grâce à la revue Franky [revue anthologique bi-annuelle en alternance avec le titre Nicole des éditions Cornélius].

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Ce projet de Franky existait déjà avant que tu n'arrives ?

Oui c'est Charlotte Miquel qui l’avait lancé avec Fred Felder, et Jean-Louis Gauthey des éditions Cornélius. Le premier Franky a paru en juin 2014, le troisième et dernier en juin 2016.
Mais le premier Franky moi je n'en étais pas content. C'était vraiment un annuaire avec des bouts de BD que nous avions déjà publiés. C'était un peu du remplissage pour dire « Voilà on a fait 300 pages et c'est pas cher ! »
Moi j'étais emballé par la revue Ferraille, je voulais faire quelque chose qui fasse « équipe ». Je suis fasciné dans la BD quand, dans Spirou ou autres, il y a des groupes d'auteurs. Je voulais un peu recréer cette dynamique-là.
Pour le deuxième numéro de Franky, qui est en fait le numéro 3, là c'est moi qui ai sélectionné tous les auteurs, par contre l'habillage c'était toujours Fred Felder et Cizo [auteur et graphiste installé à Marseille depuis 2018]. Mais j'avais déjà un peu pris la revue à mon compte. Et sur le dernier, là c'est moi qui me suis occupé de tout avec mes copains des Beaux-Arts et Elisabeth la graphiste des Requins qui est devenue ma compagne.
Je me suis épuisé sur ce projet, mais c'était vraiment mon rêve !
La revue coûtait 10 000 €, aucun auteur n'était payé, mais voilà nous avons eu la possibilité de faire ce beau projet. J'allais solliciter des auteurs en leur disant « Voilà à la fin on va faire un bel objet. » Et avec les Requins, nous étions déjà identifiés auprès d’un certain public et des auteurs.
Et c’est aussi pour Franky que j'ai travaillé avec L'Articho [excellente maison d’édition jeunesse basée à Marseille depuis 2018 et animée par Chamo et Yassine De Vos] pour la première fois. Je connaissais déjà Chamo de nom, et aussi Yassine parce qu'aux Beaux-Arts j'écoutais « De À Dada à Zouglou » sur le site de Radio Campus Paris, et tout ce qu'il faisait à la radio. C'était trop bien, c'étaient les seuls espaces où on parlait un peu sérieusement de BD et d’illustration. Avec Chamo et Yassine, nous nous sommes bien entendus. Le premier Club Articho a paru comme supplément jeunesse de Franky.
Quand j’ai arrêté de travailler pour les Requins, Chamo m'a présenté à Delphine [Beccaria, fondatrice de la librairie jeunesse parisienne La Sardine à lire] qui voulait ouvrir une librairie BD adultes aussi.

Sans indiscrétion, pourquoi es-tu parti des Requins ?

Déjà ce n'étaient que des contrats aidés, donc nous aurions dû passer au bout d’un moment à un contrat classique et trop cher pour l’association. Trois contrats arrivaient à terme, un seul poste pouvait être pérennisé, ça a un peu tendu l'ambiance.
Et puis il y avait des choses qui ne m'allaient plus ! Moi ce qui m'attirait, c'était de faire partie d'une aventure collective. Ce que j'avais commencé à créer en ramenant des auteurs, en travaillant avec des copains des Beaux-Arts, avec Thomas Bernard et d'autres historiques des Requins. Mais avec Pichelin et Winshluss, même s’ils voyaient bien qu’éditorialement ça prenait, la sauce n'a jamais pris !
Ils étaient peu présents, et quand ils passaient c’était pour faire des réunions et exposer des visions « révolutionnaires » plutôt réchauffées, et jamais vraiment mises en place.
Par contre avec Cizo ou Fred Felder, nous n'étions pas toujours d'accord, mais c'était des relations de travail agréables, sincères et constructives parce qu'on partageait la même curiosité et la même ambition généreuse !

Après l’édition, la librairie...

Tu étais toujours à Bordeaux ?

Je faisais des allers-retours sur Paris, parce que je travaillais aussi pendant le Salon de Montreuil, à l’Archipel BD, tenu par les gens de Frémok que j’avais rencontrés pendant mon stage aux Requins, lors du dernier festival « Rétines » à Albi. J'allais à l’Archipel BD tous les ans : c'était une expérience stimulante parce qu’il y avait des supers libraires, comme Matthias Rozès aussi éditeur de L'Employé du Moi.
C’est donc par Chamo que j’ai rencontré Delphine [Beccaria, fondatrice de la librairie parisienne La Sardine à lire] au festival « Fanzines », nous parlons deux secondes et elle me dit « Nous allons faire une librairie ensemble, tous les trois avec Chamo, à Paris ! »
Du coup, je commence à travailler pour La Sardine à lire de temps en temps, à Paris. Mais je me rendu compte très vite que Paris ce n’était pas pour moi.
Delphine étant de Marseille, elle avait bien envie de revenir. Chamo est partante pour déménager. Nous nous disons donc que nous pourrions monter cette librairie à Marseille.
Nous montons un dossier, rencontrons les acteurs sur Marseille, la DRAC, l'ARL, etc.
Mais, quand Delphine met sa librairie en vente sur Paris, ça met beaucoup de temps et, au final, elle n'a pas l'argent espéré. Donc, malheureusement, notre projet marseillais tombe à l’eau !
De mon côté, je recontacte l'ARL, en leur disant que j'aimerais bien trouver un poste en librairie alors qu’à part ce que j'ai fait avec Delphine à La Sardine et à l’Archipel BD à Montreuil, je ne suis pas libraire à la base. L’ARL me met en contact avec quelqu’un qui a le projet d'ouvrir une librairie jeunesse et BD, Guillaume Mouren. Même si celui-ci n'était pas du milieu du livre, il avait cette vision de faire un lieu où il y aurait des spectacles, des livres, etc.
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Le Poisson-Lune, librairie jeunesse et BD

Du coup tu intègres le projet de la librairie Poisson-Lune avant qu'elle n'ouvre ?

Ça a ouvert en octobre-novembre 2018, donc cela fait deux ans et demi maintenant, en mars 2021.
Mais, cela fait 3 ans que moi je suis rentré dans le projet. La première fois que j'ai vu le local les travaux n'avaient pas encore été faits.
Nous avons monté le fond avec l'aide précieuse de Delphine de La Sardine : par exemple, elle nous a mis en contact avec tous ses fournisseurs pour les jouets et c'est elle qui a fait toute la sélection sur le catalogue de la maison d’édition L'École des Loisirs.

Tu disais que Guillaume n'avait pas spécialement d'expérience en librairie, BD ou jeunesse...

Non, il est économiste à la base. Avec sa femme Raphaëlle, ils sont venus de Paris sur Marseille, avec dans l'idée d'ouvrir un lieu culturel. Ils voulaient au départ plutôt monter un théâtre, mais sur Marseille il y a largement ce qu'il faut en termes de lieux de spectacle vivant. Par contre, en tant que jeunes parents, en librairie jeunesse ils ont vu que ça manquait. Donc ils ont recentré leur projet sur l’ouverture d’une librairie jeunesse, sans vraiment connaître le milieu de l'édition jeunesse. Mais déjà avec cette idée de faire quelque chose qui soit un vrai lieu de vie !

D’après toi, votre public est une clientèle de quartier ?

Oui pour la jeunesse, car il y a de nombreuses écoles autour, donc nous avons pas mal de famille. Mais petit à petit, et comme il y a peu de librairies jeunesse à Marseille, il y a des gens qui se déplacent depuis d’autres quartiers, ou des gens de l'extérieur qui quand ils viennent à Marseille passent nous voir parce qu'ils ont entendu qu'ils y trouveront des choses chouettes.
Nous commençons à avoir des clients qui viennent parce que c'est nous et pas parce que c'est une librairie comme une autre.
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Est-ce que tu peux nous présenter les spécificités de la librairie ?

Pour le fonds, nous sommes partis de ce que j'avais vu à La Sardine à lire : une sélection pointue de livres et du jouet, pour équilibrer les comptes en ayant de plus grosses marges que pour le livre. Et aussi parce que c'est plus vivant que de n'avoir que des livres sur l'étagère !
Il y a donc des jeux de société, un peu de loisir créatif, des bidules à 2 € comme des balles rebondissantes, des petits planeurs,... dont pas mal de choses que des parents trentenaires ont eu gamins et qu'ils ont envie de racheter pour leurs enfants.
Il y a un peu aussi de littérature jeunesse, voire jeunes adultes, même si nous n'avons pas de réelle expertise dans le genre, et donc certainement pas grand chose d'original : du Harry Potter, du documentaire,... quelques ouvrages un peu plus commerciaux mais de façon raisonnée.
Il y a aussi de la BD, avec une part grandissante de BD adultes. Mais par contre une sélection très précise. J'essaie de bien identifier ce qui est intéressant. Nous avons en rayon des ouvrages que nous sommes peut-être les seuls à avoir sur Marseille, même si nous n'en vendons qu'un exemplaire par an ! Mais ça me paraît important de les avoir en fonds.

Ce fonds BD adultes est là depuis le début, ou bien c'est venu petit à petit ?

Depuis le début, il y avait un petit rayon de BD adultes et naturellement, comme moi ma passion c'est la BD adulte, même si je me retrouve dans une librairie essentiellement jeunesse, ça grandit petit à petit. Et puis nous avons développé une clientèle spécifique, ce qu'il n'y avait pas forcément à La Sardine.

Ce sont les parents de vos jeunes lecteurs?

Les parents des enfants, mais aussi certains lecteurs qui ont identifié qu'au Poisson-Lune il y avait des ouvrages de BD particuliers.
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Même si en ce moment ce n'est malheureusement pas le cas, vous avez tout de même prévu depuis l'ouverture de faire des animations, que ce soit des ateliers, des expositions, un petit coin « café-poussette » où les parents peuvent prendre un café avec leur poussette,...

Et nous avons même un petit extérieur, un patio à l’arrière.
Nous avons la chance d’être dans un local assez conséquent qui s'étend sur 150 m², avec 50 m² pour la librairie, le reste étant occupé par la salle pour les ateliers qui fait aussi office de salle d'exposition, l'espace pour le café et le petit extérieur !

Pour les ateliers, ce sont des rendez-vous réguliers ?

La plupart des ateliers ont lieu toutes les semaines. Même si pour l'instant nous n'avons maintenu que l'Eveil musical pour les enfants de 6 mois à 5 ans.
Malheureusement, le modèle économique des ateliers est tel que c'est un peu compliqué à pérenniser. Pour les ateliers, nous ne payons pas les intervenants, nous prenons juste une participation minime et fixe quelque soit le nombre d’enfants participants. Bien sûr, si il n'y pas assez de participants nous ne prenons rien ! Malgré tout, s’il n'y a que 3 enfants ce n'est pas très rentable pour les intervenants...

Et le mobilier ?

Nous n'en avons pas encore parlé mais il y a un parc et une cabane qui sont intégrés au mobilier de la librairie. Il y a un petit escalier qui mène à une mezzanine pour que les parents puissent surveiller leurs enfants pendant qu'ils s'amusent à côté. Tout le mobilier a été conçu sur mesure par une architecte.

Là, la situation sanitaire est encore compliquée mais est-ce que vous avez des projets spécifiques d'exposition dès que cela pourra se faire ?

Malgré la situation sanitaire, nous pouvons continuer à organiser des expositions. Nous venons de démonter une exposition de Corinne Dreyfus et Mathilde Arnaud, illustratrices marseillaises qui ont respectivement signé Un oiseau, un chat aux éditions Thierry Magnier et Chat noir chez Les Grandes personnes.
L'exposition a commencé en octobre 2020 et nous l'avons prolongé jusqu’en février 2021.
Et là nous préparons le lancement de « Coco Comics », la nouvelle mini-collection BD de L’Articho [qui a eu lieu le 3 avril 2021 avec entre autres animations un Quizz BD de haute volée].

Tu disais au début que Guillaume s'était rendu compte qu'à Marseille il y avait un manque en librairies jeunesse.

Même en librairies tout court ! Moi quand j'étais gamin à La Ciotat, j'étais obligé d'acheter mes BD à la FNAC de Marseille.

Et la Passerelle, la librairie BD mythique de Marseille ?

Au bout d'un moment, j'ai fini par identifier La Passerelle mais c'était un peu plus tard, et c'était la seule ! Quand j'étais à Toulouse, il y avait de nombreuses librairies, à Bordeaux pareil, alors que dans une ville comme Marseille...

C'est un peu en train de changer tout de même, non ?

C'est vrai que maintenant il y en a beaucoup qui ouvrent. Mais tout de même en librairie jeunesse, il n’y a que nous, Le Poisson-Lune, et La Boîte à histoires sur le Cours Julien. Il y a également sur le boulevard Longchamp un lieu 1,2,3 Solene, qui fait aussi café, des ateliers, du jouet... et un peu de livres.



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Coups de cœur

Tu veux bien nous présenter tes coups de cœur ?

Mon coup de cœur du moment c'est Maman amoureuse de tous les enfants de Lucas Méthé qui vient de paraître chez Actes Sud BD, la suite de Papa Maman Fiston paru en 2019 chez le même éditeur [un troisième volume, Scènes de Papa Maman Fiston, a paru en octobre 2021].
C’est un livre dément ! On a l'impression de lire une BD des années 70, ambiance Gébé ou Fred. Pourtant, je n'ai pas trop aimé les livres précédents de Lucas Méthé.
Ça pourrait juste être un « gloubiboulga » psychanalytique et en fait le résultat est très organique, presque géologique dans le dessin qui est monumental : le père il a des mains énormes, il soulève des montagnes, le fiston est tout le temps énervé, la mère est opulente et généreuse,...
On est un peu comme dans un rêve, en fait. Ou une sorte de purgatoire. On ne sait pas à quelle époque on est, où ça se passe… et c’est très bien comme ça !
Et par rapport au vocabulaire de la bande dessinée, j'ai pris une vraie claque !
J'avais découvert ce projet dans Nicole [le pendant aux éditions Cornélius de la revue Franky] où avait paru une petite histoire qu'on retrouve dans ce deuxième volume.
Déjà à l'époque je m'étais dit que c'était très intéressant, complètement sorti de nulle part.
Moi je préfère même le deuxième, plus centré sur la mère, parce qu'il est plus court, le premier il fallait le digérer. Là, l’auteur met des cases, il est un peu plus géré, plus cadré, sans pour autant enlever le charme de ce côté assez fou du premier.

Et en livre jeunesse ?

Ce qu'on aime beaucoup chez nous, en ce moment c'est Onze chatons dans un sac de Noboru Baba chez 4048/2024.
C'est la traduction d'une série de classiques jeunesse japonais des années 70, avec 8 livres au total dans la série, dont deux volumes étaient déjà sortis chez Milan il y a une dizaine d’années avec une maquette plutôt moche et qui étaient passés hors des radars.
Pour cette nouvelle édition, les gens de 2024 ont fait un super beau livre. C'est impertinent, et le dessin est super !

Même moi je l'ai acheté !



| lien vers le site des éditions 2024

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Je sais que tu es en France (et dans le monde !) le meilleur vendeur de SSSerpent de Chamo paru à L’Artticho en 2019.

Je suis fier mais je suis surtout atterré que les autres libraires ne le vendent pas autant ! Pour moi c'est un objet malin et parfait ! Ça devrait être en vente dans tous les supermarchés.
C'est une histoire à colorier. Ce qui est malin c'est que c'est en blanc sur fond noir donc les enfants ne peuvent pas dépasser en coloriant. Tu peux faire ça avec un gamin de 3 ans sans problème. Et comme c’est une histoire tu as une finalité au coloriage. Et chaque exemplaire devient unique !
Comme ça prend du temps à colorier, tu peux même le faire en famille ou en groupe. Ici, au Poisson-Lune, nous avons un exemplaire de démo que j'ai fait avec le fils de Guillaume.
En plus les blagues elles sont vraiment marrantes !
Et même le fait de gribouiller sur le livre, ça aussi c'est malin ! Et ça va bien à l'Articho ce côté de « détruire » son livre : tu ne dessines pas dans un livre habituellement. Mais là oui !

Depuis peu, il y a même une version lue en vidéo.



| lien vers la vidéo de SSSerpent

Bilan et projets

Ça fait donc deux ans et demi que la librairie est ouverte. Ça se passe plutôt bien malgré la situation sanitaire actuelle?

Je dirais même GRÂCE à tout ce qui se passe ! Comme les librairies sont un peu les seuls lieux culturels à être restés ouverts, les gens qui avaient envie de faire quelque chose d'intéressant culturellement, ils sont venus en librairie, et donc aussi chez nous !

À part les événements en projet dont tu parlais, est-ce qu'il y a des choses que vous avez envie de mettre en place, comme des partenariats ?

Nous collaborons avec Fotokino [galerie consacrée à l’illustration et au graphisme à Marseille] sur leur festival «Laterna Magica».
Nous avons envie de trouver d'autres collaborations comme ça.
Pour Laterna Magica, nous accueillons une exposition par an : jusqu'à présent nous avons organisé des expositions d'Anne Brugni en 2018, Adèle Verlinden en 2019 et en 2020... rien parce que le festival a malheureusement été annulé à cause de la situation sanitaire !
En termes d’expositions et événements un peu décalés, nous avons organisé une rencontre avec Xavier Bouyssou qui sortait un livre aux éditions Le Mégot.
Il a créé un personnage qui s'appelle Toonzie et qui n’est autre que lui en costume de gourou raëlien et dont la religion prétend que nous vivons tous dans le rêve d'un toon. Du coup lui il peut nous faire reconnecter avec le toon original !
Il a mené une conférence, animé un atelier avec les enfants pour qu'ils essaient de retrouver leur toon,… Il y a eu du monde mais ce n'était pas vraiment adapté au public de la librairie, du moins pour l'instant.
Moi j'ai envie de faire des choses avec le fanzinat mais en fait ce n'est pas vraiment compatible avec le modèle économique d’une librairie.
Parce que l'auteur ne peut pas se permettre de perdre 30% sur son fanzine ! Ce n'est pas la même économie



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| lien vers l'annonce de l'atelier BD avec Xavier Bouyssou

Marseille

Comment est le quartier où la librairie est installée, sur le boulevard Baille près du métro du même nom ?

C'est un gros boulevard, nous ne sommes pas loin de Castellane. Mais ce n'est pas une artère où les gens font du shopping… Du coup, nous n'avons pas tant de passage que ça. Dans le coin, soit tu vas à Castellane, soit tu vas à la Timone.
Surtout, il n'y a pas d'émulation parce qu'il n'y a pratiquement pas de commerces autour, encore moins culturels. Ce n'est pas comme au Cours Julien.
Avant nous avions une voisine fleuriste qui nous avait fait une installation pour une exposition avec Matthias Picard.
J’aurais bien voulu qu'on fasse d’autres partenariats, comme avec des confiseurs en leur présentant des illustrateurs pour qu'ils fassent des emballages ou autres.
J'aimerais bien que Le Poisson-Lune devienne un lieu de croisement !

Et que penses-tu Marseille en général ?

Culturellement, c'était sinistré quand j'étais plus jeune. Même si tu peux faire ce que tu veux ici à Marseille : si tu fais une fête dans la rue c'est dans les mœurs, tu te fais rarement emmerdé pour des autorisations. Mais comme comme il n'y a pas grand-chose qui centralise, t'es au courant que si t'es dans le même milieu que les organisateurs de l’événement, et du coup, c'est souvent les mêmes personnes qui se retrouvent.
C'est un peu le fonctionnement de Marseille : plein de petits événements avec des publics qui se croisent mais qui ne se rencontrent pas vraiment.
Sinon, comme c'est le meilleur endroit en France pour être pauvre, il y a plein d'artistes qui débarquent !
Sans oublier qu'il y a une vraie mixité. C'est ce qui me plaît dans la librairie : nous essayons d'avoir des livres ou autres un peu pour tout le monde, pour que même avec seulement 50 cts tu puisses être un client de la librairie.
Même si la clientèle de librairie en général, ce sont des gens qui ont un certain niveau de vie. Nous essayons de maintenir une vraie mixité sociale.
Par exemple, nous venons de travailler avec L'AFEV, une association en lien avec la CAF et qui permet notamment aux gamins des quartiers de bénéficier d'actions culturelles.

Tu disais que la vie pas chère à Marseille amène beaucoup d'artistes, du coup vous faites pas mal de choses avec des artistes sur Marseille.

Oui, ça évite de payer des billets de train ! Sans rire, il y a plein d’artistes à Marseille, et talentueux qui plus est ! Et en plus, ça rejoint mon envie d'être au sein d'une dynamique de groupe.
Nous avons ainsi reçu Matthias Picard, Delphine Durand, Bruno Salamone, Ramona Badescu, Nine Antico, Corinne Dreyfus, Mathilde Arnaud, Sophie Guerrive...
Nous présentons aussi la production de certains éditeurs marseillais, comme L’Articho bien sûr, mais aussi Le Port a jauni, une maison qui édite des livres jeunesse de qualité et en bilingue français-arabe, les nouveautés des éditions Même pas mal, les bouquins de l'Initiale et quelques auto-productions d'auteurs locaux, comme le graphiste Corentin Houzé. Sans oublier bien sûr, Une année exemplaire, la BD auto-éditée de Lisa Mandel, et très certainement les futures publications des éditions Exemplaire qu’elle vient d'initier.

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Merci beaucoup à Jean-Gabriel Farris pour sa disponibilité et à Guillaume Mouren du Poisson-Lune pour son accueil !

Infos pratiques
Librairie Le Poisson-Lune – 117 BD Baille, 13005 Marseille – M° Baille (ligne 1)
ouvert du mardi au samedi de 10h à 19h



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